SoHo
– Alors, qu'est-ce qu'on fait maintenant ? demanda Leïla en parquant notre véhicule à la première place libre qui s'était présentée, animal rare dans cette jungle fourmillante qu'est New-York.
Nathan étala la carte devant lui, puis se gratta la tête, perplexe.
– Selon Eliot, le prochain hybride est censé se trouver ici à New-York, mais où exactement je n'en sais rien.
Il est vrai que le point rouge qu'avait tracé le muet couvrait la moitié de la ville, ce qui représentait tout de même plusieurs dizaines de milliers d'hectares... Espérer trouver l'hybride dans ce périmètre équivalait à chercher une aiguille dans une botte de foin. Eliot prit un stylo, déchira un morceau du plan, y griffonna quelque chose puis me le tendit. Je jetai un œil au papier.
Thompson Street 10012 New York – SoHo
– C'est l'adresse exacte ?
Eliot haussa les épaules.
– [Maintenant, oui. Après...]
– Il faut se dépêcher alors, fit Leïla en démarrant les moteurs. Sa position pourrait changer d'un instant à l'autre.
– Oui, surtout que nous sommes à trois quarts d'heure du lieu, précisa Nathan.
C'est ainsi que notre car se délogea de son emplacement et s'enfonça dans les rues rayonnantes de splendeurs de la ville qui ne dort jamais.
Pour une surprise, c'en fut une. Elle était telle qu'il fallut que je me pince pour accepter que je ne nageais pas en plein rêve. Mes yeux ne voulaient pas croire ce qu'ils voyaient. Il y avait tant à dire, par quoi commencer ? La première chose que je remarquai fut la verticalité de la ville. Ses gratte-ciel se dressaient de toute leur hauteur tout autour de nous, plongeant les rues dans l'ombre, imposants. Chez nous, le paysage s'étendait tout le long des côtes et couvrait les plaines, s'allongeait en longueur, se tirait sur l'horizon, comme un tapis sur le plancher, mais cette ville en avait décidé autrement et, raide à en faire peur, elle dominait le ciel. New-York était une ville debout. Certains bâtiments étaient même si haut que je ne pouvais pas voir leur extrémité depuis la fenêtre du car, et les reflets des flocons dansaient sur leurs vitres, véritables miroirs placardés par centaines sur les façades démesurées. Même en plein hiver, les rues grouillaient d'agitation. Moins qu'à Rio, évidemment. Mais cette fois ce n'était que de simples habitants, il n'était plus question de faire du tourisme par ce temps.
Plus nous nous enfoncions dans les rues, et plus le nombre de décorations et de luminaires de noël se multipliait. Et ce n'était pas de simples guirlandes et autres banalités que l'on affichait, non, ici tout brillait, tout étincelait, à en faire mal aux yeux. On retrouvait l'importance de la ville dans la taille des ornements et dans le choix de couleurs vives et voyantes qui s'harmonisaient impeccablement avec la neige, comme si tous les résidents s'étaient mis d'accord sur la façon d'agencer les rues. L'extase fut d'autant plus considérable quand nous arrivâmes à Soho, South of Houston street, avec ses rues pavées et ses somptueuses façades en fonte. Peut-être qu'aux habitués ça ne leur faisait pas du tout la même chose qu'à moi, car ils passaient devant les commerces illuminés sans même leur jeter un regard. L'avenue regorgeait de boutiques de créateurs et de galeries d'art haut de gamme, et plusieurs statues de marbre se dressaient devant les entrées. On avait érigé un gigantesque sapin de noël sur la place, même s'il paraissait minuscule à côté des immeubles qui l'entouraient. Malgré mon épilepsie, je n'arrivais à détacher mon regard de ce paysage nouveau, impressionnant, à la limite du surnaturel.
Quel ravissement ! Il ne manquait en qu'un sandwich comme ceux qu'avaient avalés les autres pour me croire en plein miracle. Mais je n'arrivais plus à me résoudre à ingurgiter quoi que ce soit. Tout me répugnait. Le car se posta finalement devant un immeuble.