Tout est une question d'entraînement
Eliot enroula la boîte qui contenait mon venin de ruban adhésif et la fourra dans sa poche. Ensuite, il sortit une pièce de tissu de l'autre et me demanda de la nouer autour de ma tête, en faisant en sorte de bien recouvrir mes huit yeux. Je fis ce qu'il m'ordonna, même si je me demandais bien à quoi cela pouvait servir de me rendre aveugle alors que j'étais censé m'entraîner à me servir de mon corps... Me retrouver dans le noir me fit une drôle d'impression, moi qui avait reçu une si bonne vue de ma métamorphose, me voilà maintenant en pleine cécité. Eliot me prit par les épaules et me fit tourner sur moi-même, me faisant perdre tous mes repères d'un seul coup.
– Je veux que tu me dises ce que tu vois, dit l'hybride, maintenant introuvable.
« Comment ça ?! » Comment voulait-il que j'y vois quelque chose avec ce tissu qui me bloquait la vue ? Je ne savais même pas où il se trouvait à présent, et sa voix émanait de toutes les directions.
– La bonne blague ! Tu m'as bandé les yeux je te rappelle.
– Tu n'as pas besoin de tes yeux pour voir, arachnide inutile, sers toi de cette masse gélatineuse et stérile qui te sert de cervelle au moins une fois dans ta vie !
– Très drôle...
Je reçus une pierre en pleine tête.
– Aïe ! Gémis-je en me tournant vers l'origine de l'attaque.
– Arrête de râler, je viens de te fournir un grand nombre d'in-formations je te signale.
Je dus bien avouer qu'il avait raison. Je ne connaissais que sa position, mais c'était déjà beaucoup. En partant du principe qu'il n'avait pas changé de place depuis qu'il m'avait passé mon entrave visuelle, je pouvais à peu près situer l'environne-ment alentour en me basant sur mes souvenirs.
– Il y a un grand arbre centenaire à droite. Derrière, une longue rangée d'arbustes et un marais. À gauche, une clairière et devant, une jungle épaisse bordée de fleurs.
Je reçus une nouvelle pierre dans le visage.
– Je me doutais bien que tu te focaliserai sur tes souvenirs. Mais nous avons changé de place en cours de route et il n'y a ni marais ni clairière autour de nous.
« Ça aurait été trop simple sinon... » pensai-je en soupirant.
Comment devais-je m'y prendre ? Je ne peux pas voir sans yeux, c'est logique. Qu'est-ce que Eliot attendait de moi ? Réfléchis Tom ! Eliot est un homme intelligent sous son air vulgaire. Il veut m'aider à développer mes capacités, mais il ne m'a pas dit ce que j'étais censé faire, c'est-à-dire qu'il compte sur moi pour trouver la réponse sans son aide. C'est bien son genre, dire une phrase incompréhensible et attendre qu'on en déduise quelque chose. Je ne pensais pas apprendre à le connaître de cette façon. Une troisième pierre atterrit sur mon épaule droite.
– J'ai une question pour toi, arachnide inutile. D'après toi, quel est le sens le plus développé chez l'araignée ?
Je ne m'étais jamais vraiment posé la question. Les araignées me dégoûtaient, pas au point d'en avoir peur, mais je n'aimais pas les savoir près de moi. Et maintenant me voilà moi-même devenu l'une d'elles. Quelle ironie...
– Sans doute la vue, avec leurs huit yeux. Ou peut-être l'odorat...
– Faux et faux. Si tu ne devais garder qu'un seul sens sur les cinq que tu possèdes, ce serait le toucher ! À lui seul il peut remplacer la vue, l'odorat et l'ouïe. Toi qui aime les jeux en ligne, vois ça comme un code de triche indispensable pour finir la partie... et ne pas faire game over.