Le nouveau
On raccompagna Eliot dans le bus.
Leïla allongea Nathan sur la banquette, et nous nous assîmes tous autour de la table. L'hybride prit place à côté de moi, tout en continuant à dévisager le blessé avec la même intensité.
– On a quelques questions à te poser, commença Leïla, si ce-la ne te dérange pas...
La langue anglaise ne posait de problèmes à aucun de nous, mais elle ne cessait de faire revivre en moi une série de mauvais souvenirs qui se nouaient et se tortillaient comme des anguilles dans mon esprit. Leïla avait elle aussi déménagé suite à son hybridation, nous suivant à la trace car les hybrides n'étaient pas vraiment les bienvenus en Angleterre, contraire-ment aux pays comme le Danemark et tout le nord de L'Europe où ils se faisaient accueillir à bras ouverts. Eliot fit « non » de la tête.
– Déjà, comment est-ce que tu nous a trouvés ? demandai-je, tandis que Nathan sortait son fidèle carnet de note.
C'était la première question d'une longue série, mais la plus cruciale selon moi.
– [Je peux utiliser l'écholocation comme un sonar, traduisit mon petit-ami. J'ai besoin de votre aide pour retrouver les autres, même si cela m'importune plus qu'autre chose.]
« Les autres ?! » m'interloquai-je. Eliot sembla percevoir mon air choqué, et demanda à avoir une carte et de quoi écrire, que la harpie lui apporta sur-le-champ. Il étala le plan, et inscrivit deux croix au marqueur rouge, placées respectivement à New-York et quelque part dans l'Ontario.
Alors voilà l'emplacement des autres hybrides, qui étaient donc deux... C'était plus que je ne l'avais imaginé, moi qui croyait encore il y a encore quelques temps que je demeurerais seul pour le restant de mes jours.
– Mais, pourquoi nous as-tu attaqués si tu étais au courant de notre présence ? lança Nathan.
– [Je ne voulais pas vous attaquer, mais ça m'a fait plaisir.]
– Ça t'a fait plaisir de me blesser ?!
Il ne traduisit pas les phrases qui suivirent et répondait en signant de ses mains, comme pour nous exclure de la conversation. Visiblement, il y avait de l'eau dans le gaz...
– Bon, c'est bon ?! fit Leïla quand les deux ne surent plus quoi se dire. Vous avez fini tous les deux ?
– À ce qu'il paraît môssieur voulait te protéger, Tom, lâcha Nathan en insistant le ton. (L'autre lui jeta un regard si noir qu'on aurait juré qu'il allait le foudroyer sur place) ... Et il aimerait aussi savoir ton âge. Ne va pas me demander pour-quoi, tout ce qu'il dit est illogique.
Eliot se tourna vers moi, attendant une réponse, mais la perplexité m'avait rendu muet à mon tour. Alors, le fait qu'il m'ait attiré dans ce taillis, qu'il m'ait demandé de me taire, qu'il m'ait empêché de voir Nathan, la blessure de ce dernier et sa méfiance à l'égard de mes amis, c'était pour me protéger ? J'étais complètement perdu.
– Tu dis que tu voulais me protéger... Mais de quoi ?
Il pointa son doigt vers Nathan, sans dévier ses yeux des miens.
– [Les humains.]
À ce moment, comme lors de l'apparition de mes crochets, comme au concert des Rio's Whales, comme pendant tout notre trajet en bateau et les jours qui avaient suivi, une seule question me venait à l'esprit : Pourquoi ? Mais après réflexion, je pouvais le comprendre ; moi aussi j'avais fui les humains, enfin, avant que Nathan ne découvre toute l'histoire. Peut-être s'était-il fait rejeter par ses amis, sa famille... Ou pire ; avait-il été mutilé, ou torturé, en raison de son hybridation ? Si c'était effectivement la vérité – et j'espérais que ce n'était pas le cas, alors il avait une bonne raison de haïr à ce point les humains. Mais cela ne justifiait en rien la souffrance de mon ami alors qu'il avait essayé de se montrer bienveillant.