Quand elle est étendue dans mes bras, comme maintenant, elle est vulnérable.
Seulement, je me suis pas rendu compte à quel point elle était vulnérable jusqu'à hier soir. J'ai pas remarqué non plus à quel point elle était forte, le feu qu'elle a en elle.
Je la regarde. Ses cheveux sont étalés sur mon oreiller, ses lèvres légèrement entrouvertes, son souffle caressant la peau nue de mon torse. Elle a l'air paisible quand elle dort, comme s'il n'y avait pas un millier de démons qui tourbillonnent dans sa tête et dans son cœur. Comme si elle ne se protégeait pas elle-même de tout et n'importe quoi.
Je déplace ma main libre pour écarter ses cheveux de son visage. Elle renifle et se colle encore plus contre moi, ce qui me pousse à la serrer de plus en plus fort. Je pose les lèvres sur son front et elle passe un bras autour de moi.
Je sais pas trop quand j'ai commencé à me préoccuper autant d'elle. Peut-être depuis ce jour à la plage où elle m'a parlé de sa mère, ou peut-être quand elle s'est déchaînée sur cette fille à la cafétéria - quand elle a fait sa grosse dure. Ou peut-être pendant une de nos sessions de pelotage, ou peut-être quand je faisais semblant de me concentrer sur le cours d'anglais tout en jouant avec ses cheveux.
Ou peut-être que c'est depuis le début.
Peut-être que je me suis toujours intéressé à elle, et que j'avais enfoui ça sous le prétexte du sexe.
Je sais pas. Tout ce que je sais, pour l'instant, c'est qu'elle compte pour moi, et que le jeu est en train de prendre une autre tournure. Une tournure plus réelle que tout ce que j'ai connu avant. Ça devient une chose à laquelle je peux m'accrocher. À laquelle Maddie peut s'accrocher.
Je suis quelqu'un sur qui elle peut se reposer.
- Bonjour, elle dit d'une voix endormie, en bâillant et en se frottant les yeux.
- Coucou, mon ange, je murmure doucement. Comment tu te sens ?Elle garde le silence quelques secondes, le regard voilé.
- Je ne sais pas trop. Je me sens à la fois bien et mal.
Je lui embrasse le front pour effacer la ride qui le barre.
- J'ai fait ce qu'il fallait hier soir, on est d'accord ? (Sa voix est pleine de doutes et elle relève les yeux vers les miens.) En lui disant non ? En refusant de l'aider ?
- Je crois bien, je réponds honnêtement.
- Mais c'est mon frère.
- Hé. (Je relève son visage.) Tu avais une raison pour dire non. Il te fait manifestement vivre quelque chose de si dur que tu n'as plus envie de l'aider. C'est normal, Mad. Il peut pas continuer à recevoir sans rendre quelque chose en retour.Elle hoche la tête.
- Tu as raison. Tout ce qu'il m'a fait vivre... (Elle ferme les yeux et secoue la tête.) Je n'en veux plus. Je ne veux plus être une carpette.
Je lui caresse les cheveux, parce que je sais pas quoi dire.
- J'avais cinq ans quand j'ai rencontré Abbi. C'était ma première amie à la maternelle. On est allées à l'école ensemble, jusqu'au lycée, elle déclare soudain, brisant le silence entre nous.
- Tu n'es pas obligée de...
- Si, si...
- D'accord, mon ange.Elle tourne les yeux vers moi, un léger sourire flottant sur ses lèvres.
- On faisait tout ensemble. On était vraiment inséparables. Si Abbi prenait des cours de danse classique, moi aussi. Si j'arrêtais la gymnastique, elle aussi. C'était comme ça que ça marchait. Tout le monde disait qu'on avait dû être séparées à la naissance, tellement on se ressemblait, tellement on était proches. Je pensais que ce serait comme ça toute la vie.
» Quand maman est morte il y a trois ans, Abbi était mon rocher. Quand mon univers a explosé et que papa est tombé en dépression, elle était là pour m'aider à faire face. Elle était là tous les jours après l'école, à m'aider à nettoyer et à faire la cuisine. Après maman, j'étais la seule à préparer des repas dignes de ce nom - et étant donné que ma mère nous avait appris à cuisiner à toutes les deux, c'était logique qu'elle m'aide.