Je ne l'ai pas vu depuis cinq jours. Je ne suis pas allée en cours d'anglais parce que je ne suis pas prête à le revoir. La douleur sans lui me suffit déjà bien. Cette solitude extrême. Je ne m'étais pas rendu compte à quel point il avait dissipé mon chagrin jusqu'à... jusqu'à ce qu'il ne soit plus là pour le dissiper.
Et je pense que je serais incapable de le voir maintenant. C'est déjà assez dur dans les autres cours - les regards mesquins et triomphants des autres filles, les coups d'œil entendus des gars - tout ça parce que je ne suis plus avec lui. Tout ça parce que ça s'est terminé exactement comme tout le monde le prévoyait.
Je n'aurais jamais cru que ce serait si douloureux.
Mais Justin avait raison. J'ai eu ce que je voulais - ce que j'avais voulu au départ. Mais maintenant, ce que je voudrais plus que tout, c'est qu'il me serre dans ses bras et qu'il m'embrasse au coin des yeux comme il le faisait souvent quand j'avais pas le moral. Mais tout ça n'existe plus.
Je serre mes livres plus fort contre ma poitrine et baisse la tête en me cachant sous mes cheveux. J'ai déjà connu la peine auparavant. J'ai connu le deuil et le chagrin. Je peux repasser par là. C'est une douleur différente, certes, mais je survivrai. Il le faut. La mort de ma mère et la perte de ma meilleure amie ne sont pas venues à bout de moi, et ce n'est pas lui qui y arrivera.
Parce que j'ai survécu à la mort et au chagrin. C'est pour ça que je sais que je survivrai toujours.
Rien ne peut vous briser si vous ne le voulez pas.
Une main m'attrape pour m'attirer hors de la foule. Je relève les yeux. Kyle.
Dès qu'on se retrouve dehors, il passe un bras autour de mes épaules et m'attire près de lui.
- Sois pas si triste, dit-il doucement. Une fille comme toi n'a pas besoin d'un mec pour être heureuse.
- Je sais ça, Kyle. (Je cale mes cheveux derrière mon oreille et pose la tête sur son épaule.) Mais ce n'est pas parce que je n'ai pas besoin de lui que je n'ai plus envie d'être avec lui.Il se crispe légèrement mais hoche tout de même la tête.
- Il a dit que tout ça, c'était qu'un jeu. C'est vrai ?
Je soupire et m'écarte de lui pour me diriger vers la table de pique-nique située sous un gros arbre. Je me glisse sur le banc et laisse tomber mes livres sur la table. Kyle s'assied en face de moi.
- Au début, c'était un jeu, je réponds honnêtement. Kay, Megan et Lila m'ont mise au défi de le prendre au piège - tu sais, de coucher avec lui et de le larguer. (Kyle sourit sèchement et je hausse une épaule.) J'ai accepté. Qu'est-ce que je pouvais faire ? Il me faisait trop penser à... mon frère... pour que j'imagine avoir des sentiments pour lui. Mais c'est arrivé.
- Parce que c'est pas le glandeur que tu pensais ? demande Kyle avec un regard interrogateur, et je ricane.
- C'est un glandeur, d'accord. Il est égoïste, arrogant et suffisant. (Je dessine des cercles du bout du doigt sur la table.) Mais il est aussi patient, doux et attentionné. Il m'écoutait quand j'avais besoin de parler. Il était présent. Il essuyait mes larmes et me serrait dans ses bras quand j'en avais besoin. Il me faisait rire et m'aidait à oublier. Et avant que je m'en rende compte, j'étais passée de la haine à l'amour. Et je ne sais pas comment me relever.On garde tous les deux le silence quelques minutes, le temps qu'il assimile ce que je viens de lui dire.
- Mais j'y arriverai. (Je m'essuie les yeux et souris faiblement.) J'ai déjà connu pire, et je me suis relevée chaque fois. Je ne resterai pas au fond du gouffre très longtemps.