Je sens quelque chose éclater en moi quand je m'éloigne d'elle. Je sais pas ce que c'est, et j'ai pas les idées assez claires pour seulement m'en soucier. Je sais juste que c'était une grosse partie de moi - une grosse partie de moi qui ne vivait que pour elle.
- Putain ! (Je balance un coup de poing dans le mur de la résidence avant d'y poser mon front.) Putain, je répète moins fort en m'écartant pour entrer en trombe dans le bâtiment.
J'ouvre brusquement la porte qui claque contre le mur et résonne dans le couloir. Je vois rouge. La colère, c'est tout ce que je m'autorise à ressentir.
Mais je suis en colère contre qui ? Contre elle ? Contre moi ? En colère parce que j'ai succombé ? En colère parce qu'elle m'a piégé comme j'aurais dû le faire ?
- C'est quoi ce bordel ? (Aston apparaît au sommet des escaliers.) Justin ?
Je lève les yeux vers lui, le souffle court à force d'essayer de contrôler les émotions qui bouillonnent dans ma poitrine. J'agrippe la rampe d'une main tremblante et monte les marches deux par deux. Je heurte l'épaule d'Aston en passant.
- Hé, mec ? Qu'est-ce qu'il y a ?
Il écarte les bras et me suit dans la deuxième volée de marches. J'arrive devant ma chambre, ouvre la porte d'un coup et la lui referme au visage. Je n'ai envie de voir personne... et surtout pas lui.
- Justin !
- Dégage, Aston ! je réponds en sifflant entre mes dents serrées.Je serre les poings et laisse ma tête tomber en arrière pour regarder le plafond.
- Qu'est-ce qui t'arrive ?
Ce qui m'arrive ? Elle est arrivée.
- Ce qui m'arrive, c'est ce... putain de défi. (Je me tourne vers lui et il tressaille légèrement en percevant la haine dans ma voix.) Elle, voilà ce qui m'arrive. Toutes ces conneries pour la faire tomber amoureuse de moi. Des putains de conneries ! Parce que devine quoi ? En essayant de la piéger, c'est moi qui me suis bien fait avoir. Elle m'a baisé, dans tous les sens, parce que tout ça, c'était qu'un foutu mensonge. Maintenant c'est fini. C'est mort, t'entends !
J'attrape la lampe sur mon bureau et la balance contre le mur. Le pied en porcelaine explose en mille morceaux dans la chambre.
Aston s'approche prudemment, les mains tendues devant lui.
- Calme-toi, mec !
- Tu sais quoi, Aston ? Vas-y, tombe amoureux de quelqu'un qui te brise le cœur, et reviens me dire de me calmer, putain ! Dégage de ma chambre. Tout de suite !Il hoche la tête une fois et recule. J'entends ma porte se refermer avec un cliquetis. Je suis seul.
Moi, mes quatre murs et une lampe fracassée.
Un jeu. Est-ce que c'était le même jeu pour elle que c'était pour moi ? Non. Parce que ce n'était plus un jeu pour moi, plus à la fin. C'était réel, peut-être même depuis le début. Mais pas pour elle. Non. C'était un putain de jeu pour tout son putain de petit groupe ! Et Meggy...
Ma meilleure amie. Ma putain de meilleure amie. Elle savait tout. Double trahison.
Je suis allongé sur mon lit, les mains jointes derrière ma nuque. J'ai les chevilles croisées et je fixe le plafond d'un air hébété. Deux petites heures de sommeil ont réussi à atténuer légèrement ma haine d'hier, et je lutte de nouveau contre la douleur cuisante provoquée par la perte de Maddie. On est samedi, et je devrais être en train de la retrouver pour boire un café.
Et bien sûr, ça risque pas d'arriver aujourd'hui.Ma porte s'ouvre en grinçant. Je tourne rapidement les yeux, une partie de moi espérant bêtement que ce soit Maddie. Pourquoi ? Pour une explication ?
Je pose de nouveau les yeux sur le plafond avec indifférence en voyant entrer Megan. Je n'ai plus envie de la voir, pas plus que j'ai envie de voir qui que ce soit, là tout de suite.
- Je suis désolée, elle murmure.
- Désolée pour quoi, Megan ? T'as eu ce que tu voulais.
- Je suis désolée parce que jusqu'à hier soir, je pensais que pour toi, Maddie, c'était encore que pour le cul. Mais j'avais tort, hein ? Elle est bien plus que ça.Je roule la tête sur le côté pour la regarder dans les yeux.
- Regarde-moi, Megan. Est-ce que j'ai l'air de vouloir parler de Maddie, de toi ou n'importe quelle autre connerie, là ? (Elle secoue la tête.) Alors tu sais où est la porte.
- Jay...
- Je te donne un indice. Tu l'ouvres et tu sors. Salut, Megan.Elle soupire tristement et tourne les talons. Elle s'arrête, la main sur la poignée.
- Elle aussi a beaucoup de peine, Jay. Au début c'était un jeu, mais pas besoin d'être un génie pour voir que ça n'en est plus un pour Maddie. Plus maintenant. Elle était anéantie hier soir et je ne l'ai pas encore vue aujourd'hui. (Elle s'exprime d'une voix douce.) J'ai lu des centaines de livres et regardé tous les films romantiques du monde, mais rien ne m'a jamais paru aussi réel que ce que vous aviez, tous les deux. C'est même pas comparable.
Elle sort et laisse la porte se refermer lentement. Je garde les yeux rivés dessus en dessinant du regard le motif du bois.
Au bout d'un moment, je retourne mon attention sur la toile blanche du plafond, pour lutter encore une fois contre cette douleur cuisante.