Je me laisse légèrement aller contre le lit. Pour la première fois depuis des mois, j'ai effectivement la sensation que je peux me laisser aller.
Pearce a quitté la Californie - pas besoin d'être télépathe, il n'a aucune raison de rester. Je lui ai clairement fait comprendre qu'il ne fallait plus compter sur mon aide, maintenant. J'ai ma propre vie à mener, ma propre voie à tracer. Je ne peux plus être l'adulte pour nous deux désormais.
Et à en juger par la dissertation toujours dépourvue de la moindre ligne devant moi, j'ai encore du chemin à faire pour devenir adulte. Mais la vie, c'est comme une dissert : il faut juste trouver les bons mots à associer.
Quelqu'un frappe doucement à la porte. Je fronce les sourcils et jette un regard à Megan. Elle hausse une épaule avant de se concentrer de nouveau sur son travail. Je pousse mes livres et me lève du lit en me demandant qui ça peut bien être. Lila serait entrée directement et Kay... eh bien, on ne sait pas où elle est, rien de surprenant là-dedans.
J'ouvre la porte et tombe nez à nez avec le regard marron étincelant de Justin. Merde merde merde !
- Qu'est-ce que tu fais là ? je demande d'une voix sifflante en tirant au maximum la porte derrière moi.
- Je suis venu voir ma nana, répond-il en m'embrassant.
- Justin, c'est la résidence des filles ! Tu vas passer un sale quart d'heure si Kay découvre que tu es venu ici.
- Tu pourrais au moins faire semblant d'être contente de me voir.
- Je suis un peu surprise.Et paniquée. Paniquée, oui. Oui. Oh, putain.
- Je peux entrer ? (Il frappe à la porte et des bruits de ressorts parviennent de l'intérieur.) C'est qui, si Kay est pas là ?
- Megan, je réponds d'une voix trop aiguë. On bosse.Il fronce les sourcils.
-Ça va, mon ange? Tu as l'air un peu... nerveuse.
- J'ai juste peur que tu te fasses choper.Ou moi.
- Alors laisse-moi entrer. Elle le saura pas.
- On peut aussi sortir.Justin fronce les sourcils et me contourne. Avant que je puisse dire un mot, il ouvre la porte.
Megan est en train de froisser une grande feuille de papier. Avec un coin de papier encore accroché au mur, ce sont les seuls signes trahissant qu'il y avait quelque chose ici.
- Qu'est-ce que tu fais ? demande Justin avec un soupçon d'amusement en regardant Megan.
- Rien. (Elle sourit nerveusement.) Je fais que, heu, ramasser quelques saletés. Maddie en laisse traîner partout dans sa chambre.Je suis le regard de Justin, qui parcourt la pièce. Elle est impeccable.
- Cette chambre est plus propre qu'une chambre d'hôpital, Meggy, dit-il avant de se tourner vers moi. Est-ce que tout va bien ?
Je hoche la tête.
- Super. Meg, pourquoi tu ne mettrais pas les saletés à la poubelle ?
Elle rayonne.
- Bonne idée, Maddie. Bonne idée.
Elle jette la boulette à travers la chambre, qui va atterrir dans la poubelle.
- Vous êtes bizarres, toutes les deux. Vous êtes sûres que c'était à jeter ?
Justin nous regarde tour à tour.
- Affirmatif, je réponds en hochant de nouveau la tête.
Mais ça n'efface pas son air méfiant. Megan remue, mal à l'aise.
- Pourquoi est-ce que j'ai l'impression que vous me cachez quelque chose ? demande Justin. Surtout toi, Meggy.
- Je sais pas, couine-t-elle.
- Viens, on sort, je lance en lui tapotant le bras et en enfilant des chaussures.
- Toi aussi t'es bizarre. Qu'est-ce que c'était ? Vraiment ?
- Rien !Je le tire par le bras.
Justin s'écarte et traverse la chambre vers la poubelle. Je regarde Megan, paniquée. Elle me renvoie le même regard épouvanté, bouche bée.
Je la dévisage, incapable de tourner les yeux vers Justin quand j'entends le bruit du papier qu'on défroisse.
Mon estomac se noue. Un troupeau d'éléphants tout entier fait des sauts périlleux là-dedans. Je vais être malade.
- L'Opération Piéger le Joueur ? (Il regarde d'abord Megan, puis moi.) Éclairez-moi, les filles. C'était quoi le but, au juste ? Je crois que j'ai une petite idée.
Respire, Maddie, respire.
- Allez ! répète-t-il plus fort. Qu'est-ce que vous cachez si désespérément ?
- Te faire tomber amoureux, répond doucement Megan en tournant finalement les yeux vers lui.
- De Maddie ?
- De Maddie, confirme-t-elle en baissant les yeux.
- Tout ce temps ? C'était ça ? Un jeu ?
- Oui, murmure-t-elle.Un silence tendu s'installe dans la pièce et je n'ai toujours pas relâché mon souffle. Je croise enfin son regard. Je...
- Félicitations, t'as gagné, dit-il en me regardant, le regard rempli d'une douleur brute, le visage totalement dénué d'expression. Considère que c'est un succès, Maddie. T'as eu ce que tu voulais.
Il passe à côté de moi et je laisse enfin échapper le souffle que je retenais. Ce geste simple me ramène à la réalité, et je prends conscience de ce qui vient de se passer.
Il sait. Il s'en va.
Ce n'est pas vrai. Ce n'est pas un jeu. C'est réel. Plus réel que tout ce que j'ai connu jusque-là.
- Justin ! je hurle en dévalant les escaliers derrière lui. Justin !
Je pousse les lourdes portes de la résidence et je le vois en train de marcher en direction de la fraternité, la tête baissée.
- Justin ! je hurle une dernière fois d'une voix désespérée.
Il s'arrête, me jette un regard par-dessus son épaule et secoue la tête. Il reprend sa marche et disparaît au coin de son bâtiment.
Je m'effondre contre le mur et plaque ma main sur ma bouche. Les larmes me brûlent les yeux et je secoue la tête de la même façon qu'il vient de le faire.
Un poids m'envahit la poitrine, s'ajoutant aux éléphants qui faisaient des sauts périlleux tout à l'heure. Mon estomac se noue et je sais... je sais que ce qu'on avait tous les deux a disparu. Envolé.Parce que je n'ai pas retiré cette stupide affiche il y a six jours, comme j'aurais dû le faire.