Il s'ennuie. C'est fou ce qu'il peut s'ennuyer. Même avec ces réguliers voyages dans le monde réel, à la recherche de toujours plus de compagnons, il s'ennuie. Oh, ses garçons perdus ne sont pas de mauvaise compagnie, pas du tout. Maintenant qu'il en choisit du même âge que lui, c'est-à-dire seize ans, il a besoin d'user de remède assez... Spéciaux pour les convaincre de lui obéir, pour leur faire croire n'importe quoi. Ce ne sont plus les gamins de sept ans qu'il pouvait manier à sa volonté. Alors il leur fait avaler ce remède et ensuite, il les dresse. Ça l'occupe, ça l'amuse. Mais c'est juste qu'il lui manque quelque chose. Quelque chose pour être complètement heureux. Depuis toutes ces années à vivre dans son Pays Imaginaire, il a enfin compris qu'il se sentait désespérément et affreusement seul.
Depuis que Wendy est morte, il a cessé, ou presque, ses petites expéditions dans le monde réel. Sans s'en rendre compte, plus il allait la voir pour ne jamais l'oublier, comme il lui a promis, plus il vieillissait. Mais il était tellement fou d'elle, amoureux comme personne ne peut l'être, qu'il ne s'en apercevait pas du tout. Elle, avait créé une famille, des enfants, avait déménagé plusieurs fois... Jusqu'à ce qu'elle meurt, ironie du sort, D'Alzheimer.
Durant toute sa vie, elle n'a jamais su qu'il venait toujours la voir, et heureusement. Qu'aurait-elle pensé, avec son cerveau d'adulte, qu'un enfant qui refuse de grandir vienne toujours la voir, juste parce qu'il l'aime, elle, une dame qui grandit, se ride, qui possède une famille...? Elle, a fini par l'oublier, mais lui, jamais. C'est l'événement le plus merveilleux qui lui est arrivé dans sa vie, mais aussi le plus épouvantable. Aimer, c'est magique lorsque c'est réciproque, mais quand la personne qui nous est cher part, nous oublie, reconstruit sa vie avec un autre sans se préoccuper de nous, la mort nous paraît bien gentille à côté.
Résultat de ces voyages en fin de compte inutiles: il a grandi. Seize ans, à présent. Ses pensées sont beaucoup moins innocentes et spontanées qu'avant. A présent, il réfléchit légèrement avant d'agir, il a la voix grave d'un jeune homme, et, pire que tout: il commence à voir différemment le monde du sexe, qu'il, jusqu'alors, trouvait dégoûtant, sans raison, et pour les plus grands. C'est ce qui le rend grognon, parfois. Ses garçons perdus, dans ces moments-là, sont cent fois plus dociles. Pas pour le détendre, absolument pas, mais parce qu'ils ont eu une démonstration en public de ce que coûtait la désobéissance quand il était de mauvais poil. La tête de la victime de cette colère trône toujours sur un pieux, quelque part dans le Pays Imaginaire. Donc, pour ne pas subir le même sort, ils préfèrent se rendre un tantinet plus aimables qu'avant. Et puis, comme ils ont le même âge, eux aussi sont parfois de mauvaise humeur à cause de cela. Mieux vaut ne pas avoir de jeune fille dans les parages dans ces moments-là...
-Peter, Robin est tombé dans un fossé! s'exclame soudain une voix traînante à l'extérieur, ce qui le sort de ses songes.
Il se trouve dans la cachette qu'il utilise depuis des centaines d'années, au creux d'un tronc d'arbre. L'endroit n'a pas changé, si ce n'est qu'il y a beaucoup plus d'armes qu'avant. Partout où on pose le regard, des dizaines d'épées, poignards, boucliers, arcs, flèches, matraques, pistolets traînent, délaissés ou attendus d'être en service. Le garçon perdu qui a dit cela se trouve juste devant l'entrée, mais n'entre pas. Il n'ose peut-être pas.
La voix répète l'annonce, plus fort. Les nerfs déjà extrêmement fragiles de Peter commencent à s'échauffer. Il a entendu, il n'est pas non plus sourd.
-Peter, dit la voix insolente pour la troisième fois, tu m'entends?
Raah... Si jamais ce gars se ramène ici, il va se recevoir la raclée de sa vie! Il s'en souviendra longtemps, ça c'est certain. Peter ne se sent pas d'humeur à être gentil et à ramener son mignon petit copain d'en dehors du fossé. Alors il ne répond pas aux demandes agaçantes de son compagnon. Avec un peu de chance, il va comprendre.
Mais non, il ne comprend pas.
On toque à la planche en bois qui sert de porte. Puis la voix s'élève une nouvelle fois.
-Peter, réponds! Il y a Robin qui...
La porte s'ouvre en même temps. Ça y est, ses nerf lâchent.
-Oui, j'ai entendu! Ta gueule, maintenant! rugit Peter en se levant de son trône, son épée serrée dans son poing crispé.
Un tête crasseuse d'un gars de quinze ans apparaît dans l'embrasure de la porte. Ses cheveux son poussiéreux et ses yeux vitreux, à cause des... Remèdes que lui donne Peter.
-C'est urgent, insiste-t-il malgré le cri de Peter. Je crois qu'il a les jambes ou les bras cassés.
Un sifflement traverse la pièce et le garçon referme vivement la porte. Juste à temps pour ne pas se recevoir l'épée de Peter dans l'œil.
-Dégage! hurle celui-ci en s'emparant d'une autre épée, prêt à la lancer au cas où il se remontrerait. Dégage ou tu vas vraiment avoir les yeux crevés pour le reste de ta satanée vie!
-Mais c'est mon frère...
-JE T'AI DIT DE TE CASSER, QU'EST-CE QUE T'ATTENDS??
Des pas rapides se font entendre, puis plus rien. Il est enfin parti. Peter se dirige avec lassitude vers son trône et s'avachi dedans, épuisé. Ah, s'il pouvait encore s'amuser comme autrefois, au lieu de s'énerver! Mais ce n'est plus possible, avec ces idées d'homme de seize ans. Plus possible du tout.
Tout ce qu'il peut éventuellement faire pour se divertir un peu, c'est aller dans le monde réel pour récupérer un énième garçon perdu. Mais que ferait-il avec un nouveau humain déboussolé, rebelle et insoumis? Rien, si ce n'est recommencer son éducation pour le soumettre à ses ordres, mais c'est devenu difficile. Il n'en a plus l'envie. Et puis, pour les loger aussi, c'est compliqué. Ce tronc n'est plus assez grand. Ils dorment tous dehors, maintenant, même Peter dans ses bons jours, pour qu'il n'y ait pas de jaloux.
Alors rien que le fait d'imaginer avoir un autre garçon perdu lui donne le tournis. Où couchera-t-il? Et le dressage? Qui s'en occupera? Toujours le même. Mais, comme à chaque fois, Peter trouve une bonne raison de retourner dans le monde réel. Inconsciemment, et peut-être un peu bêtement, il espère retrouver son lui d'avant, la Wendy d'avant, les aventures d'enfants d'avant, quand il pouvait encore s'amuser comme il le souhaitait.
Il sait que ce ne sera jamais plus le cas, mais cela le met tellement mal, de faire face à ce qu'il est devenu, qu'il continue assidûment à récolter des garçons manqués, de donner des coups d'épées dans le vide, comme pour combattre une dernière fois le Capitaine Crochet, qu'il n'a pas revu depuis que celui-ci a accédé au pouvoir d'une partie du Pays. En fait, Peter ne fait plus rien de ses journées. Il a de la chance de ne pas pouvoir grossir, sinon il serait énorme, gonflé de fainéantise et de nostalgie.
"Peut-être que cette fois sera la bonne", se dit-il en pensant au monde réel. Il se dit cela à chaque fois, pour s'encourager à le faire. Le résultat reste toujours le même: non, cette fois n'est pas la bonne, ce garçon perdu est comme les autres, insupportable et peureux. Mais que faire d'autre, sinon mourir d'ennui ici, ou plutôt agonir sans fin de cette langueur interminable?
Peter se lève et va décrocher l'épée plantée dans la porte. C'est décidé : il va retenter sa chance dans le monde réel. Au mieux, ce sera la bonne prise, au pire, il aura un nouveau casse-pied geignard dans les bras. Tant pis pour lui, si c'est la seconde réponse. Il a été prévenu.
(Laissez des commentaires si ça vous a plu ou non! ;P)
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Peter Pan
FanfictionVous connaissez l'histoire de Peter Pan? Bien sûr, tout le monde la connaît. Mais ce que vous ne savez pas, c'est que Peter Pan a grandi malgré lui. Nous sommes au XXI ème siècle et il a désormais seize ans. A cause d'un séjour un peu trop long dans...