Chapitre 1

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Nous étions mercredi et il pleuvait. Un beau mois de Mars humide et froid, propice aux rhumes et aux pieds mouillés à la moindre sortie.

J'étais assise dans le bus deux étage avec ma classe d'anglais, en direction de Londres pour un voyage d'une semaine censé nous aider à améliorer notre langage. J'étais assez dubitative sur ce point mais je ne disais pas non à quelques visites touristiques avec des amis.

Mais pour l'heure, le trajet s'avérait assez inconfortable, car depuis notre départ vers dix-sept heure, nous n'avions fait qu'un arrêt pour manger et j'avais horriblement besoin d'aller aux toilettes. Il était près de minuit, sans que le chauffeur ne manifeste l'envie de trouver une aire de repos. Je n'étais pas la seule à m'agiter mais cela lui faisait visiblement une belle jambe et il n'aurait ouvert ses précieuses toilettes sous aucun prétexte. Je suppose que vous connaissez tous les toilettes de bus, qui ne servent strictement à rien dans la mesure où le conducteur ne les ouvrira que si vous êtes sur le point de vomir sur ses chaussures – s'il ne choisit pas d'ouvrir la porte afin que vous remplissiez le fossé.

J'en avais donc plus qu'assez d'attendre la pause et me tortillai sur mon siège, les fesses engourdies. Pour tuer le temps, j'observai l'habitacle et ses occupants. A ma droite, Victoire, ma meilleure amie, écoutait de la musique au volume maximum. Ses cheveux roux mi-longs étaient retenus en queue de cheval et la faible lumière intérieure soulignait par intermittence sa peau de lait. De nous deux, elle était toujours celle qui attirait les regards avec ses beaux yeux verts pailletés d'or et sa silhouette de rêve. La seule chose qui aurait pu lui manquer était quelques centimètres de plus mais on lui pardonnait, parce qu'elle était tout simplement sublime. Rien à voir avec moi et mes cheveux bruns, mes yeux marrons et ma taille on ne peut plus moyenne. Plus loin dans l'autre rangée, les garçons voyageaient autour d'une table de quatre qui leur permettait de jouer aux cartes. Je cherchai un instant à découvrir le signe entre Marc, un type de ma classe d'anglais, et son partenaire au kems mais je n'y parvins pas.

Enfin, le véhicule serra à droite et entra sur une petite aire de repos avec station-service et mini-supérette. J'arrachai littéralement ma ceinture.

- Tu veux sortir ? demandais-je à Victoire.

- Hein ?

Le son était bien trop fort pour qu'elle comprenne mes paroles, vu que je pouvais moi-même entendre les hurlements de son chanteur.

- Pousse-toi, fis-je avec un signe de la main. Je descends.

Elle enleva ses écouteurs et se glissa vers les garçons en battant des cils pour jouer avec eux. Je levai les yeux au ciel et me précipitai dehors.

Le froid était humide et saisissant, aussi courus-je avec les autres courageux pressés en direction de la supérette. Je passai directement par la case toilettes avant de flâner dans les rayons. Evidemment, flâner était un bien grand mot étant donné le peu d'articles disponibles et je me décidai rapidement pour une boîte de sandwich triangles au poulet et un gros paquet de chips. En plus de nous priver de pause pipi, le chauffeur n'avait rien trouvé de mieux que de nous obliger à mettre les sacs contenant de la nourriture dans la soute. Or, il était minuit passé et quand je ne dors pas, j'ai faim.

Je retournai au pas de course dans l'habitacle du bus et m'assis à ma place.

- Je t'ai pris un truc à grignoter, dis-je à Victoire, revenue de sa partie de cartes.

Elle s'installa à mon côté et avala une poignée de chips. Le car redémarra et je mis ma ceinture d'une main tout en écartant les tranches de pain du sandwich pour chercher le poulet. Je sentais un goût de tout sauf de viande et je n'en voyais pas un seul morceau. Au moins le sandwich eut-il le mérite de me caler un peu. Je parvins même à m'avachir contre la fenêtre, décidée à dormir.

Bercée par le moteur du véhicule, je sentis mes paupières s'abaisser.

- Eh, Luna ! Regarde dehors !

Tout en prononçant ces paroles, Victoire me donna un coup de coude dans les côtes et je grognai :

- Mais quoi ? Tu ne vois pas que je dors ?

- Là ! Qu'est-ce qu'ils font ?

Je tournai la tête de mauvaise grâce et m'aperçut que deux énormes berlines noires doublaient le bus, collées l'une à l'autre. Non. Elles ne doublaient pas. Elles demeuraient à la hauteur de notre bus, sans accélérer. Mon ventre se tordit d'un coup, comme si j'avais un mauvais pressentiment. Et comme pour confirmer mes intuitions, la première voiture tourna brutalement à droite et heurta le côté du bus, aussitôt imitée par la seconde.

- C'est quoi ce bordel ! brailla le conducteur. Ils sont fous ces gars !

Un second à-coup réveilla le reste de mes camarades et j'enfonçai les doigts dans les accoudoirs. Le bus fit un écart au troisième choc et Victoire couina.

- Ils nous poussent, bafouillai-je. On va avoir un accident !

Le conducteur s'efforçai de maintenir sa trajectoire mais la route était déjà sinueuse à la base et il avait de plus en plus de mal à rouler droit. Enfin, ce qui devait arriver arriva et je vis avec horreur notre bus cogner la rambarde séparant la route d'une pente à pic.

- Mettez vos ceintures, aboya le conducteur.

Le bus se renversa et la barrière céda. Tétanisée, je basculai sur Victoire, incapable de faire un seul geste pour me retenir. Des cris de panique provenaient de l'étage du bus. Quelque chose me frappa derrière la nuque, si fort que ma vue se brouilla. Le peu d'information que je réussis à saisir m'apprirent que le bus tombait le long du ravin et était secoué comme une salade dans une essoreuse. Puis, alors que je luttai pour rester les yeux ouverts, je me sentis chuter, comme si ma ceinture ne me retenait plus et ce fut le noir.

GENESIS (1)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant