Chapitre 35

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- Vous avez envoyé des soldats à l'Institut Bollart et vous vous êtes servi de GEN à l'intérieur de la communauté, crachai-je. Oseriez-vous le nier ?

- Ce que je nie ou non n'a aucune importance, mademoiselle Hill, s'étouffa à moitié Gabin Reilly sous la pression de mes doigts contre sa gorge.

- Vraiment ?

- On vous a déjà servi un responsable, non ? Pourquoi ferais-je l'effort de m'expliquer alors que vous êtes déjà persuadée de ma culpabilité ? Tenez-vous en au tissu de mensonges de votre directeur, ce sera plus simple pour vous.

Je fronçai les sourcils. Etait-ce une ruse pour me faire baisser ma vigilance ?

- Racontez, exigeai-je, glaciale. Si ce n'est pas vous, qui est-ce ? Les Revenants ?

Je relâchai légèrement son col, histoire qu'il ne meure pas asphyxié avant d'avoir tout déballé et le fixai durement.

- Je n'ai rien à voir avec tout ça, affirma le sénateur en se massant le cou. Juste après avoir découvert l'existence des Améliorés, j'ai été contacté par une organisation qui m'a demandé tout ce que je savais. Ensuite, ils ont dit qu'ils me rappelleraient si nécessaire, mais ce n'est jamais arrivé. Ils se sont contentés de m'envoyer quelques gorilles protecteurs en me prévenant que votre communauté me croyait impliqué dans un attentat, ou quelque chose dans ce genre-là.

- Qui sont-ils ? Pourquoi auraient-ils fait cela s'ils comptent aussi des GEN dans leurs rangs ?

- Je ne sais pas. Mais ce sont des serpents retors et aussi pervers que vos semblables. J'aurais dû me méfier, et voilà où cela m'a conduit.

Je jetai un coup d'œil à la mezzanine. Les mots du sénateur sonnaient vrai, mais je ne pouvais pas risquer de le croire. Il fallait mener la mission à bien, j'essayai donc de gagner du temps.

- Les Améliorés, repris-je, c'est comme ça que vous nous appelez ?

- Parce que c'est ce que vous êtes, dit Reilly en haussant les épaules. Des êtres humains modifiés, rien de plus. Pas l'espèce nouvelle décrite par votre psychopathe de chef, ou cet autre monstre qui dirige les Revenants.

- Nous sommes tous des monstres, monsieur le sénateur.

- Peut-être n'est-il pas trop tard pour certains... Vous savez, j'ai une nièce de votre âge, mademoiselle Hill, et...

- Je n'ai pas le temps d'écouter vos histoires personnelles, le coupai-je sèchement. Savez-vous quelque chose concernant le directeur Marx qui le lierait aux Revenants ?

Je devais connaître la vérité et comprendre pourquoi il nous avait envoyé dans ce merdier. Je raffermis ma prise sur les vêtements de Reilly, refusant de lui céder le moindre terrain. Il pouvait mentir ou dissimuler des choses, c'était certain. Voyant qu'il ne répondait pas, j'insistai :

- Je vous ai posé une question. Il y a une liste, une liste de noms, savez-vous de quoi il s'agit ? Où est-elle ?

Gabin Reilly me dévisagea. Dans ses yeux, je vis la peur de mourir, l'indécision et une autre émotion que je n'identifiais pas. Et s'il était sincère ?

Brusquement, ses pupilles se dilatèrent et ses lèvres formulèrent un avertissement qui ne les franchit jamais. Une puissante vague de chaleur me projeta en avant, soufflée par l'explosion de la mezzanine.

***

Le nez rempli de la poussière ambiante, je me redressai, écrasant sous moi le sénateur Reilly que j'avais d'instinct recouvert de mon corps. Ma combinaison, heureusement ignifugée, m'avait bien protégée, ce qui n'était pas le cas du costume de Reilly, brûlé et déchiré en plusieurs endroits. Allongé sur le dos, il respirait faiblement, un long morceau de bois enfoncé entre les côtes.

Quelqu'un avait provoqué l'explosion, mais de quel camp était-il et qui visait-il ? Mes oreilles bourdonnantes perçurent des cris et des bruits de débris que l'on déplace.

- Putain, Hubbel, on avait dit pas d'explosifs, grommela quelqu'un.

Je toussai et m'apprêtai à me remettre sur mes jambes, le front dégoulinant de sang quand une main me tordit le bras en arrière.

- C'est toi ! C'est toi, je vais te tuer.

Un GEN roux et couturé de plaies dues à l'explosion au visage me mis debout en me tirant par les cheveux. Encore un peu sonnée, je ne résistai pas.

- C'est toi ! postillonna-t-il encore.

Il se saisit de mon arme et l'appliqua sur mon épaule, le regard fou. Il allait me descendre, bon sang, je devais réagir. Prise au piège, maintenue par sa poigne de fer, je cherchai du secours mais personne ne venait. Où était Allan ?

Deux balles se fichèrent dans ma chair et je grognai de douleur. Le sang imprégna le tissu, mais j'étais incapable de bouger. Les yeux clairs du GEN me contemplaient avec une expression dégoûtée. Mais qu'est-ce que je lui avais fait, à celui-là ? Je me mordis la langue pour contenir ma souffrance.

- Je vais te tuer, annonça l'autre.

Non, vraiment ? Je ne m'en étais pas doutée seule...

J'agitai les jambes, rebellée à l'idée d'être abattue comme un animal, et dégageai un bras. Le souffle court, je pus attraper son arme, l'éloignant un maximum de mon visage.

- La prochaine est en composé, ricana mon ennemi. Tu mourras, quoi qu'il arrive.

Il me compressa la poitrine de son bras et je hurlai, l'épaule en feu en tentant de lui échapper. Il allait tirer ! L'énergie du désespoir se répandit dans mes veines, et je me résolus à me servir de ma main blessée pour me défendre et empoigner le revolver. La tête maintenue en l'air par la main du GEN, je fermai les yeux, manquant d'air, et repoussai l'arme, sans voir ce que je faisais.

Le coup partit dans une détonation violente et une pluie humide se déposa sur mes joues.

***

Lorsque j'étais petite, je faisais souvent des cauchemars et m'en réveillais trempée de sueur, le cœur battant la chamade. Il s'écoulait alors un long moment avant que je ne sois capable d'ouvrir les yeux et d'allumer la lampe. La peur m'étreignait tellement que j'avais la sensation que l'objet de mon mauvais rêve était là, dans la chambre, et que si je me levais, il m'attaquerait encore.

Les paupières si serrées que j'en voyais des tâches de couleurs, je glissai mollement le long du mur. Je ne voulais pas voir, je ne pouvais pas regarder. Si j'attendais assez longtemps, comme quand j'étais petite fille, peut-être que tout disparaîtrait ?

Le bruit mat du corps du GEN s'écoulant au sol fit voler mes maigres espoirs en éclats. Les épaules agitées de tremblements qui n'avaient rien à voir avec la douleur de mes plaies, je pris mon courage à deux mains et posai les yeux sur le cadavre. Un cadavre au crâne défoncé en deux endroits par une balle. Mon premier cadavre. Et j'avais son sang sur le visage.

- Je suis désolée, couinai-je, je suis désolée. Je ne voulais pas. Je..., je suis désolée.

Personne ne répondit et mes frissons redoublèrent. J'avais tué. J'étais une meurtrière.

Me balançant d'avant en arrière avec la certitude que j'étais seule depuis une éternité, dans ce couloir démoli, je tournai la tête vers le sénateur Reilly.

Le teint gris de cendre, du sang imprégnant sa chemise, il ne bougeait plus. Juste avant l'explosion, il avait porté ses doigts à sa poche de veste, et, presque inconsciemment, je passai une main dessous. Une feuille poissée de rouge effleura mes doigts, une feuille que je cachai dans ma combinaison. La liste.

Envahie par le froid, je posai la tête contre le mur et continuai à observer le sénateur. Son torse se soulevait encore, mais à peine. Sa vie, ténue, s'échappait avec le sang qu'il perdait, et bientôt, il aurait rejoint le roux, Chaffaron et les autres. Le pire, c'est que cette idée ne me faisait rien...

Fascinée par ce souffle qui ne tenait plus qu'à un fil, je ne le quittai pas des yeux. 

GENESIS (1)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant