Sur la pointe des pieds, je collai mon oreille contre le battant. Juste un petit coup d'œil, ensuite je m'en irais. De mon point d'observation, je ne vis qu'un lit aux draps froissés et de grandes bibliothèques remplies de livres et de jeux de société. Les murs étaient nus et blanc, mais le tout respirait un confort qui n'avait rien à voir avec ma petite cellule. Alors que je me redressai, des jambes entrèrent dans mon champ de vision et un homme un peu plus vieux que moi ouvrit totalement la porte. Oups ! Pour la discrétion, j'avais encore des progrès à faire.
- Qui es-tu ?
Sa voix possédait une intonation curieuse, mais je n'aurais pas su dire pourquoi. C'était aussi le cas de son visage aux traits suspicieux. Sous ses cheveux noirs, les yeux de l'homme me scrutèrent.
- Je m'appelle Luna, dis-je, mal à l'aise.
- Je te connais. Le docteur m'a parlé de toi. Tu as fait une grosse bêtise. C'est le docteur qui me l'a dit.
Il s'écarta et retourna dans ce qui devait être sa chambre. Je fronçai les sourcils. Ce gars-là ne me paraissait pas net. Il avait une drôle de façon de s'exprimer, et aussi de se mouvoir. Je le regardai s'asseoir en tailleur devant la télé qui occupait le coin droit et se mettre un dessin animé. Ahurie, je m'avançai un peu plus.
- Et toi, comment tu t'appelles ? le relançai-je. Et pourquoi tu restes ici ?
- Je m'appelle Geb, répondit l'homme en le prononçant « Gueb ». Et c'est ma chambre. Je ne dois pas sortir tout seul.
- C'est le docteur qui te l'as dit ? devinai-je.
- Il s'occupe de moi. Je l'aime bien mais l'infirmière qui vient avec lui, elle m'énerve. Elle veut toujours me faire des prises de sang et des examens. Moi, je préfère jouer à l'ordinateur !
Le problème m'apparut soudain clairement : j'avais la sensation de discuter avec un enfant. De telles paroles sortant de la bouche d'un grand type parfaitement adulte sonnaient bizarrement. Cela m'en donna des frissons.
- Tu veux rester avec moi ? proposa Geb, suppliant. Je n'ai jamais d'amis pour jouer.
- Je suis désolée, je ne peux pas. Pas aujourd'hui, me rattrapai-je en le voyant se décomposer. J'essaierai de revenir, d'accord ?
Oh, le vilain mensonge ! Je n'étais pas fière de moi, mais je commençai à flipper sérieusement. Comment un homme adulte avait-il pu régresser autant ? A moins que son état ne fut naturel, mais avec toutes les expériences d'Irina Malcolm et ses équipes, rien n'était sûr.
- D'accord, accepta Geb. Quand tu reviendras, tu seras mon amie.
Je reculai vers la porte. L'envie de savoir plus de choses sur lui me démangeait et je me retournai une dernière fois.
- Pourquoi tu ne peux pas sortir de cette chambre ?
Geb planta ses yeux dans les miens avec un petit sourire triste. Il haussa les épaules.
- Le docteur ne me l'a jamais dit, mais je l'ai écouté dire des choses à l'infirmière. Ils ont parlé d'une opération et ils ont dit que j'avais oublié.
- Oublié quoi ?
- Tout oublié.
Geb se désintéressa de moi et monta le son de la télé. Abasourdie, je repris le couloir en sens inverse. Je réfléchirais plus tard à ce que j'avais découvert car je ne souhaitais qu'une chose : sortir le plus vite possible.
Devant l'ascenseur, j'écrasai le bouton d'appel. Je me jetai à l'intérieur et me heurtai à une personne qui en sortait. Le GEN me foudroya du regard, un regard d'un bleu-gris saisissant tant il était froid.
- Qu'est-ce que tu faisais ? voulut-il savoir. Ça fait presque un quart d'heure que ta porte a été déverrouillée.
- Si vous vouliez vraiment savoir, il fallait mettre plus de caméras de surveillance, le défiai-je.
J'indiquai à l'ascenseur de monter au rez-de-chaussée, mais lorsque la porte commença à se rabattre, le GEN plaça son bras pour la stopper et me saisit le poignet. Qu'est-ce qu'il me voulait celui-là, à la fin ? Je durcis mon regard.
- Fais attention. A trop jouer avec le feu, on finit par se brûler, dit-il doucement.
- On verra bien.
Je devais bien l'avouer, mon attitude crâneuse n'était certainement pas recommandée dans ces circonstances. Mais je n'appréciais pas les menaces sous-jacentes de ce GEN. Je relevai le menton tandis que la porte se fermait.
En haut, Barbie en personne m'attendais. Perchée sur des escarpins vertigineux, elle arborait un superbe tailleur bleu roi et avait tiré ses cheveux en chignon impeccable. Elle aurait pu être la doublure du docteur Malcolm, mais en blonde. Elle pianota sur sa tablette et m'accueillis avec une petite moue :
- Luna Deveille ? Comment vous sentez-vous ? Des nausées, des étourdissements ?
- Non.
- Quel dommage. Et dire que Rick se faisait une joie d'avoir mis au point sa nouvelle arme ! Il disait qu'elle pourrait assommer un GEN pendant plusieurs heures.
Décidément, ce psychopathe avait un sens de l'humour bien particulier pour se réjouir de faire du mal aux autres. Il ne me tardait pas de recroiser sa route. J'emboîtai le pas à Barbie qui m'annonça que j'allais rejoindre les recrues, actuellement en cours de maths au manoir. J'étais également priée de me tenir à carreaux si je ne voulais pas qu'il m'arrive des bricoles. Je m'abstins de tout commentaire et elle me laissa sur le pas de la porte de la classe.
Le professeur, qui aurait été laid, lunetteux et bedonnant sans une bonne dose de sérum GEN, me fit les gros yeux et me montra une place libre au fond de la salle. Je m'y installai en consultant l'horloge au-dessus du tableau tactile. Il ne restait que quelques minutes de cours. Quant à la date, nous étions jeudi, lendemain de notre évasion.
Dès que le prof nous libéra, je gagnai la sortie. Étonnée, je me rendis compte que Victoire, qui n'avait pourtant pas pu louper mon entrée, étais déjà partie sans moi. Amanda était seule devant la salle. Je ressentis un peu de culpabilité envers mes amies pour les avoir laissées en arrière. Amanda me rassura aussitôt en prenant de mes nouvelles et en proposant de m'accompagner à la chambre pour que je me débarbouille et me change. Nous descendîmes à notre étage, sans que je n'aperçoive ma meilleure amie. Le cœur lourd, je me promis de lui parler.
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GENESIS (1)
FantasyExtrait du journal de Luna Deveille, 30 Mai, 23h12, Institut Bollart Les GEN sont des êtres humains génétiquement modifiés pour devenir des armes surpuissantes et capables de dominer la race des hommes. Ils sont partout, vivent peut-être près de che...