Chapitre 9

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Le soir venu, je pris le parti de me coucher tôt. Je me déshabillai dès mon retour à la chambre avec l'idée de mettre en œuvre la première partie de ma mission cette nuit même. Victoire se laissa tomber sur son propre lit et je remarquai qu'elle me regardait de travers. A son expression, j'étais sure qu'elle allait me cuisiner sur ma conversation avec Marc, et cela ne manqua pas :

- Vous parliez de quoi, toute à l'heure ?

Son ton était empli de soupçons. Cependant, je m'étais préparée à cette éventuel interrogatoire, car je connaissais Victoire mieux que personne et elle n'aimait rien tant que tout savoir. Il est vrai que je l'avais jusqu'ici décrite comme une personne assez futile, mais elle avait de nombreuses qualités, telles que l'humour, sa présence infaillible en cas de problème, et bien d'autres choses. Pour l'instant, en tout cas, elle ne laissait voir que son insatiable curiosité.

- De rien du tout. En fait, Marc a du mal à digérer l'absence de Katerina.

J'avais dit cela sur mon ton le plus solennel et l'excuse passa comme une lettre à la poste. De plus, Victoire et Kat étaient amies et suivaient la même option latin. Je pris donc ma meilleure amie par les sentiments.

- Je comprends, murmura-t-elle, pensive. C'est dur de se dire qu'on ne la reverra pas.

Elle s'allongea en se passant les mains sur le visage. Amanda, qui retirait ses chaussures et mettait de l'ordre dans son armoire, s'intéressa à la conversation d'une voix timide.

- C'est qui, cette fille ?

- La copine de Marc, jeta sèchement Victoire. Elle était avec nous dans le bus. Elle est morte.

- Je suis désolée.

Je fis les gros yeux à Victoire. Elle était mal placée pour reprocher sa question à Amanda, elle qui se mêlait toujours de tout. La discussion fut close et je me mis au lit après une toilette rapide. Les yeux rivés au plafond, j'attendis.

***

Si Victoire sombra rapidement, Amanda tourna dans son lit pendant longtemps. Quand sa respiration devint enfin régulière et profonde, je sortis de mon lit. Il était environ une heure du matin. Je me faufilai dehors.

Le couloir était bien évidemment désert à cette heure de la nuit. Je logeais dans l'aile des recrues et nul n'était autorisé à se promener après le couvre-feu. Exactement ce que j'étais en train de faire. Je me collai au mur pour éviter les caméras de surveillance. Ma nouvelle mémoire les avait déjà enregistrées et me permettait d'évoluer sans être repérée. Si seulement j'avais eu de telles capacités pour apprendre mes formules de maths au lycée.... Je descendis lentement l'escalier. Je dus être encore plus prudente car les deux étages du dessous abritaient les chambres des GEN adultes, et donc susceptibles d'être debout.

Toucher du pied le sol du rez-de-chaussée me procura un soulagement incroyable. A présent, il me fallait traverser le self, ce que je fis sans difficulté, puis je trouvai la cuisine. Il y faisait noir comme dans un four et mes doigts tâtèrent la lampe torche que j'avais pris en prévision. Elle fut malgré tout inutile : mes yeux s'habituaient au peu de lumière et je pus bientôt distinguer les contours des frigos, des meubles de rangement et la table centrale. J'entrepris de fouiller partout.

Des légumes frais dans le frigo, du lait, du fromage, rien de très intéressant. Si Marc, moi et les autres parvenions à sortir de l'Institut, nous aurions autre chose à faire que de nous cuire une petite purée et un steak en pleine cambrousse. Je tombai sur un placard de boîtes de conserves. J'en volai quelques-unes, ainsi que des barres céréalières dans les rangements dédiés au petit-déjeuner. Je me mordis l'intérieur des joues. Ce n'était pas tout à fait ce que j'étais venue chercher. Les boîtes étaient lourdes et je voulais trouver mieux.

« Tu reviendras demain, songeai-je. Si tu te fais prendre, tu n'auras rien gagné. »

Soudain, je vis une porte dans le fond de la cuisine. Le genre de porte qui aurait parfaitement pu cacher un cellier. Je l'ouvris et entrai, triomphante : la pièce débordait de rations en sachet, de bouteilles d'eau et de fruits secs. J'avais heureusement emporté mon sac à dos et je le bourrai de nourriture. J'effaçai ensuite toute trace de ma venue, en cachant les emballages vides, par exemple. Je pouvais regagner sagement ma chambre. D'après ma montre, j'étais sortie un quart d'heure avant et je croisais les doigts pour qu'aucune de mes amies n'ait ouvert l'œil. Mon absence serait trop difficile à expliquer.

- Qu'est-ce que tu fiches ici ? tonna brusquement un homme.

Je me jetai derrière une étagère, le cœur battant. On ne s'adressait pas à moi.

- Sale voleur, gronda encore l'individu. Dis-moi ce que tu essayais de faire !

- Rien, rien. Je suis désolé, laissez-moi tranquille.

Une recrue venait de répondre. Sa voix était jeune et, vu son ton plaintif, il s'agissait forcément d'une personne qui n'avait rien à faire ici. Et qui avait eu les mêmes projets que moi pour la nuit.

- Merde, merde, merde, jurai-je tout bas. Il ne manquait plus que ça.

Je me terrai plus profond dans ma cachette. Pour ne rien arranger, j'étais prise au piège. La seule porte de sortie constituait aussi un accès direct au GEN furieux et à une raclée monumentale, à n'en pas douter. Je me forçai au calme pour ne pas respirer trop forte. L'agent de l'Institut entendait au moins aussi bien que moi et il n'allait pas tarder à m'entendre souffler comme un bœuf dans le garde-manger.

- Menteur, siffla le GEN. Tu n'es qu'un crétin. Un crétin bruyant par-dessus le marché. Je t'ai entendu depuis l'extérieur !

- J'ai compris, pleura carrément mon infortuné camarade. Je ne recommencerai pas.

- Ça, c'est certain.

La recrue cria et je serrai les paupières. Les bruits sourds qui me parvenaient ne pouvaient provenir que d'une chose : le GEN rouait le garçon de coups. Ce dernier se tut. Je fus envahie par un froid indescriptible. Était-il mort ?

- Et pas résistant, avec ça. Rick va s'occuper de ton cas. Et l'inconscience ne te sauvera pas longtemps.

Le GEN explosa de rire et ses pas s'éloignèrent, doublés du son mou d'un corps traînant sur le carrelage. Je me retrouvai seule, terrorisée. 

GENESIS (1)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant