Chapitre 8

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Douchés et changés, nous eûmes le droit de nous rendre au réfectoire vers midi. J'avais encore un peu mal dans le nez mais la plaie de ma lèvre s'était déjà refermée. Et surtout, j'avais une faim de loup.

Le réfectoire était un endroit agréable, vitré et avec d'épaisses poutres de bois au plafond. A la vérité, il aurait pu ressembler à un cagibi sale et puant que cela ne m'aurait pas coupé l'appétit. J'avançai dans la file, l'eau à la bouche et m'emparai d'une bonne assiette de couscous. Marc choisit une table un peu à l'écart et j'y pris place à côté de Victoire.

Aucun de nous n'avait grand-chose à dire, et cela se comprenait tout à fait. Il régnait une ambiance semblable à celle de n'importe quel self dans une école ou une cafétéria d'entreprise, mais nous savions tous qu'il n'en était rien. C'est pourquoi je trouvais incongru de bavarder normalement. Lorsque Guilhem commença à faire des blagues – qui ne faisaient d'ailleurs rire que lui et Marc, solidaire de son ami – je me mis à étudier les visages.

Les GEN, hommes ou femmes, étaient tous dotés d'un charisme fou et je ne parvins pas à leur trouver de défauts physiques. Chacun était bien proportionné, élégant, intimidant, même, malgré les tenues de sport et les chaussures de randonnée portées par la plupart. Ils mangeaient en conversant paisiblement, toutefois je remarquai des armes à feux aux ceintures. Pile le petit détail qu'il fallait pour ne pas oublier où j'étais vraiment.

- Les gars, regardez par-là, murmura Victoire en me secouant. C'est lui !

- Qui ? la relança Marc.

Dans un bel ensemble, les têtes des nouvelles recrues se tournèrent vers l'entrée du réfectoire.

- Le directeur, compris-je.

Effectivement, c'était bien lui qui s'avançait avec nonchalance entre les tables. Je fus très déçue par son apparence. J'imaginais un homme impressionnant, au moins aussi beau que ses sbires mais c'était tout le contraire. Ulrich Marx était plus que quelconque, avec sa taille moyenne, son ventre rebondi et ses cheveux rares. Seul son costume impeccable le distinguait des autres GEN.

- Il ne fait pas bien peur, me moquai-je. On dirait Hercule Poirot dans la série télé.

Victoire partit d'un rire de hyène pas du tout discret et les regards se portèrent sur nous. Je me tus aussitôt, peu désireuse de me faire rabrouer de nouveau après mes exploits du matin.

Rappelons tout de même, pour résumer, que je m'étais mis à dos mon instructeur en une matinée alors que j'étais censée passer des mois sous sa houlette. A mon grand regret, Marx s'approcha de notre table et nous examina, tour à tour.

- Bonjour à tous.

Sa voix était désagréable, comme s'il avait un gros rhume.

- J'avais hâte de rencontrer mes nouveaux soldats. Grâce à vous, mon armée sera bientôt assez puissante pour prendre le contrôle et évincer les humains.

Il eut un sourire presque dément qui me fit froid dans le dos. Un vrai malade.

- Je vous souhaite bon appétit.

Il s'en alla. L'atmosphère déjà pesante avant le passage du directeur s'alourdit encore. Mes camarades s'interrogeaient sûrement sur le sens de ses paroles, mais moi, je savais. J'avais lu le dossier et compris que la nouvelle espèce des GEN était destinée à remplacer les Hommes, aux yeux de ses créateurs mégalomanes.

Nous terminâmes le repas en silence et je fus contente de sortir un peu au soleil dès que nous eûmes terminé. Je consultai l'emploi du temps sur la feuille que nous avait remise Stone. Cours de sciences au labo, puis histoire-géo dans une salle du manoir.

L'enseignante de sciences, aussitôt baptisée Barbie par Marc et Guilhem à cause de ses cheveux et de son opulente poitrine, nous équipa de blouses blanches et fit défiler un diaporama tout le cours. Elle parla de cellules, de mutation, d'expériences. En observant les autres, je ressentis une espèce de satisfaction mesquine. Enfin ils redescendaient sur Terre, enfin ils prenaient eux aussi la pleine mesure des ennuis dans lesquels nous étions. Victoire était devenue encore plus blanche, les doigts agrippés à sa table. Vous pouvez me croire, cela fait un choc de savoir qu'on a trafiqué vos gènes pour faire de vous des monstres.

Pour ma part, tandis que Barbie dictait avec emphase sa leçon, je piaffais d'impatience et il en fut de même durant le cours d'histoire. Le prof nous décrit avec soin les Grandes Guerres, mais du point de vue des GEN, soulignant donc la stupidité humaine. Je bondis dehors quand il nous libéra.

- Où vas-tu ? m'appela Victoire.

Je ne répondis pas et me rendis dans l'herbe, derrière le manoir. Mes yeux percevaient le moindre mouvement des caméras, et en quelques secondes, je déterminai que seule une petite bande, au centre exact de la cour n'était pas couverte par cette surveillance. Aucune chance e s'enfuir par les murs. Je croyais qu'aucun de mes amis de m'avaient suivie lorsque j'entendis Marc arriver furtivement. Il se plaça à ma gauche, suivant mon regard.

- Alors tu as un plan ?

- Non. Mais ça va venir. Et toi ?

Je ne m'attendais pas à sa question. Il avait visiblement envie de partir, lui aussi, et c'était une bonne nouvelle. Nous serions plus forts à deux.

- Non plus, admit-il. Mais hors de question que je reste sans rien faire.

- D'accord. Tu penses qu'il faut prévenir les autres ?

Marc hésita et se gratta les joues, mal à l'aise. Je sus, à son expression, qu'il avait le même genre de pensées que moi sans oser les formuler.

- Si on est trop nombreux on n'y arrivera jamais, dit enfin mon ami. Et puis regarde Victoire, on dirait qu'elle est au paradis. On n'a qu'à prévoir de revenir les chercher ensuite.

Je ne relevai pas la dernière partir de sa phrase. Lui non plus n'y croyait probablement pas. Mais nous étions quand même en train de projeter de trahir une amie encore une fois.

- Il faut qu'on tente, reprit Marc. Si ça se profile bien, on les emmènera, OK ?

- OK. Tu t'occupes de la diversion et moi, je regroupe le matériel.

Oui, c'était la meilleure chose à faire, à n'en pas douter. Le moment venu, nous préviendrions Amanda et Guilhem pour les faire sortir avec nous et ma meilleure amie. Nous ne pouvions pas décemment les abandonner, même si la discrétion primait pour préparer notre fuite.

- Je ne veux pas rester ici, répéta Marc. Ils sont fous. Et en plus, Kat était dans le bus... Tu comprends ?

Sa voix se brisa sur le prénom de Katerina, sa petite amie depuis la troisième. Émue par son chagrin, je lui pressai la main. Nous n'étions pas très proches au lycée, mais la situation créait des liens insoupçonnés.

- Ne t'inquiète pas. Ça va bien se passer, fis-je d'un ton rassurant.

Puis je le laissai tout seul et retournai au manoir en traînant les pieds, le cœur gros. On avait beau nous faire croire à un endroit idyllique en nous offrant tout ce dont nous avions besoin et en nous faisant croire que nous étions désormais des êtres hors du commun et privilégiés, l'ombre des morts causées par l'Institut planait au-dessus de nous. 

GENESIS (1)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant