Chapitre 2

328 42 10
                                    


J'ouvris les yeux et les refermai aussitôt. Mal. A la tête, au dos, à la main. Mon corps était un bleu géant à lui tout seul.

Puis, je fis l'effort de soulever les paupières pour de bon. Une lumière jaune éclairait par intermittence l'intérieur du bus. Je voyais une vitre brisée et un dossier de siège de là où je me trouvais, à plat ventre sur la moquette. Que diable m'était-il arrivé ?

Je me redressai, un goût de sang dans la bouche, et tournai la tête avec précaution. Une terrible envie de vomir me saisit alors. J'étais visiblement couchée sur le plafond de l'étage du bas de mon bus, puisque les sièges étaient plantés au-dessus de moi. Nous avions dû nous retourner. Mais c'était loin d'être le pire. Autour de moi, je voyais des formes sombres rappelant des corps humains. Heureusement, j'étais assez loin d'eux pour que le mot « cadavre » ne s'impose pas à mon esprit. Ou plutôt cela fut-il mon espérance avant de sentir mon estomac se soulever violemment. Je rendis son contenu, secouée de spasmes.

Ils étaient morts ! Cet accident les avait tués !

La panique me submergea, et je me traînai en haletant vers la vitre. Il fallait que je sorte de là.

- Luna ! Luna, c'est toi ?

Indécise, je fouillai vaguement l'espace en essayant de ne pas tenir compte de ce que j'y voyais et qui confirmait mes craintes. Enfin, je vis Marc, le garçon qui jouait aux cartes un peu plus tôt, indemne ou presque, un peu plus loin sur la gauche. J'en aurais presque pleuré de soulagement.

- J'ai cru que j'étais toute seule, chuchotai-je, tremblante.

- On va sortir de là, assura-t-il doucement, visiblement conscient de mon l'état de mon trouillomètre. Mais viens m'aider, d'abord. J'ai trouvé Victoire aussi, et sa jambe est cassée.

Ses paroles m'éclaircirent les idées et je pris une grosse goulée d'air. Nous nous rendîmes au fond du bus, où ma meilleure amie gisait, le visage crispé de douleur. Sa jambe prenait un drôle d'angle.

- On va la porter, m'indiqua Marc.

- Fais doucement ! glapit Victoire, alors que je passai mon bras sous sa jambe valide.

Je ne relevai pas son ton, car il était dans ses habitudes de se montrer très exigeante avec les autres et la situation ne devait pas arranger son humeur. Marc et moi la déplaçâmes jusque vers la fenêtre cassée et l'assîmes sur le rebord.

- Laisse-toi glisser sur la carrosserie, conseillais-je.

Je lui tendis mon téléphone pour quelle s'éclaire avec la torche. La lumière jaune clignotante provenait d'un feu du car accidenté mais elle ne suffisait pas à voir dans la nuit. Victoire disparut et atterrit avec un bruit humide dans l'herbe. Il faisait terriblement froid et j'avais les mains engourdies en prenant place à mon tout pour sauter.

Je ne sais pas si je vous l'avais déjà dit, mais je n'étais absolument pas sportive. J'avais horreur de courir, sauter, et tout le tralala en cours d'EPS. Par conséquent, lorsque je dus rejoindre Victoire, je fis une espèce de petit saut en battant des bras avec autant de grâce qu'un hippopotame.

Et vlan ! Le nez dans l'herbe trempée, je gémis et entendis Marc se poser près de moi. Une fois debout, j'inspectai ma main douloureuse. J'avais surtout mal au poignet et dans les doigts, mais je pouvais bouger un peu.

- Tu as du réseau ? demanda brusquement Marc, me ramenant à des préoccupations plus importantes.

- Non, aucun service. J'essaye un appel d'urgence.

Je composai le numéro des pompiers. Rien. Pas même une sonnerie.

Je luttai encore une fois pour rester calme. Des voix parvinrent alors à nos oreilles, répercutées par la paroi.

- Lâche les chiens, Mélissa. Ça ira plus vite, et je n'ai pas envie de leur courir après ce soir.

- On les aura, ricana une femme. Ils doivent être bien sonnés par la chute, s'ils ne sont pas tous morts !

J'attrapai Marc par le bras. Mon esprit fonctionnait enfin à plein régime et ces gens à notre recherche ne m'inspiraient rien de bon, surtout après avoir fait tomber le bus.

- On dégage, c'est nous qu'ils cherchent. On ne peut pas rester là.

- Attends, je ne peux pas marcher, moi, objecta Victoire. Hors de question que je reste seule !

- Arrête de râler, gronda mon camarade d'anglais, sur les nerfs.

Il chargea ma meilleure amie dans ses bras, boosté par les aboiements de plus en plus rapprochés.

- Viens ! criai-je.

Je m'élançai vers les arbres les plus proches. La peur donne des ailes dit-on, et je n'irais pas jusqu'à confirmer ça, mais je courais plus vite que jamais devant Marc et Victoire. Mon cœur battait comme s'il voulait sortir de ma poitrine. Je slalomai entre deux arbres et sautait par-dessus un tronc couché. Il fallait que nous échappions à ces gens.

Mais d'abord, que voulaient-ils ? Pourquoi avaient-ils provoqué l'accident ? Une chose était sûre, ils ne descendaient pas pour nous venir en aide.

Très vite, je fus dégoulinante de sueur et sur le point de mourir asphyxiée. Mais je me refusais à m'arrêter, d'autant que Marc et son chargement peinaient plus que moi. Je montai une pente douce, puis celle-ci se raidit. Mes mollets crièrent grâce.

- Stop, hoqueta Marc. Je ne peux pas continuer comme ça.

Je me retournai pour le voir poser mon amie sur un rocher. Elle le fixait avec colère. Marc se massa les bras et tenta de reprendre son souffle. L'oreille tendue, j'écoutai les chiens galoper quelque part derrière nous. On ne pouvait pas s'arrêter.

- Si on se sépare, on a plus de chance, dit Marc.

- Tu comptes me laisser ici ? s'insurgea Victoire en rabattant sa chevelure derrière ses oreilles. Luna, dis quelque chose !

Un sentiment curieux m'envahit. Étais-je capable d'abandonner ma meilleure amie à je-ne-savais quel sort pour pouvoir me sauver ?

- Laisse-la. Sinon on n'y arrivera pas.

Ma voix résonna comme celle d'une étrangère dans mes oreilles. Ça y était, je l'avais dit. Et ce n'était que le premier de la longue liste des changements qui allaient s'opérer en moi, même si je l'ignorais encore. Je sentais sur moi le regarde perdu et assassin tout à la fois de celle qui partageait mes moments les plus drôles comme les plus tristes depuis la maternelle. Et je lui tournai le dos. Je repris ma course sans un mot, sans vraiment entendre Victoire hurler et pleurer derrière moi.

Plus loin, le sentier, ou ce qui en tenait lieu, se scinda et je fonçai à droite tandis que Marc prenait la gauche.


GENESIS (1)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant