Chapitre 13

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Mes jambes tressautaient par à-coups, traînant sur le carrelage. J'avais le cerveau embrumé et ne fis pas attention à l'endroit où l'on nous emmenait. Si j'avais pu, je me serais mis des claques pour avoir été aussi téméraire face à Rick. Au lycée, j'étais appréciée par les enseignants pour ma discrétion et mon calme, et je n'avais jamais eu d'ennuis. Se faire remarquer, c'était le boulot de Victoire. Mais face à ce que je vivais, je ressentais l'obligation de me révolter. C'était incompréhensible.

Je revins totalement à la réalité en sentant mes fesses se poser sur une chaise. J'ancrai les pieds dans le sol pour ne pas glisser, encore sonnée par la matraque.

- Monsieur, c'est du direct, prononça quelqu'un à l'intention de Marx.

- Merveilleux. Allumez l'écran.

Je relevai la tête malgré ma nuque raide. A ma droite, Marc était aussi blanc qu'un cachet d'aspirine et de la sueur coulait sur son front. Pourvu qu'il ne vomisse pas. Un peu plus loin encore, Guilhem peinait à se tenir assis et Miranda, la femme hérisson, devait le tenir par une épaule. Il avait les yeux fermés et était secoué de tremblements.

Une main se plaça à l'arrière de ma tête et m'obligea à fixer l'écran droit devant moi.

- La séance cinéma, c'est par ici, souffla Rick à mon oreille.

Avec appréhension, je laissai la scène se dérouler sous mes yeux avec impuissance.

C'était un entrepôt. Grand, garni d'étagères, de caisses, et occupés par des hommes. Non, des GEN. Je les reconnus à leur taille et à leur prestance. Ils allaient et venaient, vaquant à des occupations de rangement tout en discutant. Je ne perçu que la rumeur de leurs conversations car le son n'était pas assez fort. Je comptai rapidement les GEN, ils étaient une petite dizaine.

Un coup d'œil à Marx m'indiqua que le meilleur – ou le pire – restait à venir.

Des cris se firent entendre dans l'entrepôt et je recommençai à regarder presque malgré moi. Mais d'un autre côté, je voulais savoir ce que le directeur tenait tant à ce que nous voyions.

Des soldats en gilets par balle, avec des casques et des armes à feu énormes envahirent l'entrepôt et attaquèrent les GEN. Ces derniers n'étaient pas prêts pour riposter, ils n'avaient rien pour se défendre à portée de main, et surtout, les soldats humains étaient au moins trente. Aucun doute sur l'issue finale, donc. Et pourtant...

Les GEN se mirent en mouvement si vite qu'ils en parurent flous et se jetèrent sur leurs assaillants. Confinée à l'Institut au milieu d'autres GEN, je n'avais pas pris la mesure des différences que nous possédions par rapport à des humains. Mais à présent, je voyais clairement leur lenteur, l'imprécision de leurs gestes. Les GEN bondissaient, frappaient, virevoltaient comme si la gravité n'avait pas d'impact sur eux. Un cou brisé, un plexus embouti, une gorge tranchée par un couteau volé à un soldat. Les attaquants tombèrent comme des mouches. Je vis un GEN arracher un bout d'étagère métallique, assommer son adversaire avec et l'achever en le balançant contre un mur, mur qui s'enfonça et s'effrita sous le choc. En quelques minutes, plus aucun homme ne fut debout. Les GEN les avaient tous tués et aucune d'entre eux ne souffrait ne serait-ce que d'une éraflure. Ils se mirent à inspecter les cadavres et à les emporter.

Je venais d'assister à une démonstration de force, d'agilité et de fureur meurtrière. Voilà donc ce dont les GEN étaient capable. Ils ne craignaient rien. La peur s'empara de moi et je sentis le sang se retirer de mon visage. Mais curieusement, elle n'était pas seulement due au fait que j'avais assisté à la mort de trente personnes, ce qui était bien évidemment terrible. Seulement, j'avais aussi une forte inquiétude pour moi-même.

Toutes ces prouesses effectuées par les agents de Marx, dans cet entrepôt, étaient-elles dans me cordes ? Je n'étais pas du tout la meilleure du groupe, j'étais incapable d'emboutir une porte sans me faire mal, de ne pas être essoufflée à la fin d'un combat. Je n'étais pas comme eux, et à cet instant je ne pensais pas du tout à mes amis et à leurs propres compétences. Je me sentis encore plus en danger, car si je n'étais pas une GEN, si la mutation ne m'avait pas conféré toutes leurs particularités, je n'allais pas faire long feu ici. Je risquais d'être découverte et Rick m'éliminerait. Je ne voulais en aucun cas être associée aux agissements de ces fous, et pourtant j'étais saisie de panique à l'idée de ne pas être des leurs.

- C'est assez pour le moment, décida le directeur. Passez celui-là aux rayons bleus quelques minutes et enfermez-les. Le temps que la leçon rentre !

***

Je fondis en larmes une fois seule. Une nouvelle cellule, la solitude, le sentiment d'échec et tous les événements des semaines dernières, c'était trop. Je pleurai longtemps, le nez enfoncé dans le mince matelas posé au sol. Je voulais être partout sauf ici et l'angoisse s'ajoutait à mon chagrin. Peu à peu, la tension qui me nouait le dos s'évacua et je me sentis plus calme. Comme quoi laisser libre cours à ses émotions un bon coup faisait du bien.

Je m'assis et calai mon dos contre le mur afin de remettre de l'ordre dans mes idées, mes cheveux et mes vêtements qui me donnaient une allure douteuse. Les yeux certainement gonflés et la goutte au nez, le top de l'élégance, en somme !

J'étais désormais en état de réfléchir. Nous avions été totalement stupides de tenter une fuite, pauvres petites recrues que nous étions. C'était d'autant plus risible après avoir vu les possibilités d'un GEN entraîné. Marc, Guilhem et moi n'avions aucune chance et nous avions mis nos vies en péril. Je songeai alors que le garçon venu voler dans la cuisine avait disparu définitivement alors que moi, j'étais toujours vivante, et mes amis aussi aux dernières nouvelles. Que manigançaient Marx et sa clique ?

Un léger déclic me prévint de l'ouverture de ma prison. Le mot était on ne peut plus approprié puisque la porte était composée de barreaux épais et surmontée d'un gros verrou. Le battant s'ouvrit de quelques centimètres, mais personne ne vint. Je m'en approchai avec méfiance et l'écartai du bout du pieds. Je pus bel et bien sortir dans le couloir sombre. Aussitôt, je repérai la cellule de mes amis. Marc dormait sur le dos, la bouche ouverte. Je haussai les sourcils. Ce type avait vraiment le sommeil facile pour se détendre dans de pareilles circonstances. Ou alors il avait été drogué. Guilhem occupait le second lit, pâle et immobile. Seule sa poitrine se soulevant me précisa qu'il allait bien.

Les doigts agrippés aux barreaux, je me demandai ce que j'étais censée faire. A vrai dire, je ne comprenais pas quel avait été le but du directeur en nous montrant ce combat dans l'entrepôt. Il aurait mieux fait d'essayer de vanter le confort de ses structures de sport et le régime diététique du self, c'était en général comme ça qu'on attirait les gens dans le monde du tourisme. Là, on aurait dit qu'il faisait de la pub pour un film d'horreur. J'étais encore plus convaincue que cet endroit était malsain et qu'il fallait le quitter.

D'ailleurs, il était plus que temps que je lève le camp. J'étais dans un sous-sol, il n'y avait aucune fenêtre. A gauche, un ascenseur pour prendre la clef des champs, ou au moins du parc de l'Institut – mieux valait ne pas être trop exigeante. A droite, le couloir vide et terminé par une porte blanche entrouverte et très probablement interdite.

J'allai à droite.  

GENESIS (1)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant