Chapitre 28

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Mon monde se couvrit d'un givre épais et froid, qui lui retira aussi bien sa chaleur que ses couleurs. Tout devint flou et lointain, comme si rien n'avait d'importance hormis Guilhem, sur qui mon regard demeurait braqué.

Marc se traîna sur le ventre et retourna son ami, les traits tordus par l'inquiétude. Il se mit à le secouer doucement.

- Guilhem ? Guy, tu m'entends ? Tout va bien, on va te soigner, d'accord ? Guy, tu m'entends ? Ne me lâche pas, mon pote. Ça va aller. Reste avec moi.

La litanie de mon ancien camarade de lycée devint insupportable, mais je ne sus pas où je trouvais la force de poser ma main sur son bras.

- Marc, laisse-le tranquille, ça ne sert à rien. Il... il ne t'entend plus. Il est...

Le mot mourut dans ma gorge et je quêtai l'aide de mes amis, complètement démunie.

Dans les films ou les romans, un personnage qui meure a toujours son heure de gloire juste avant. Il commet un acte héroïque, se sacrifie ou fait une déclaration enflammée à ses proches ou à la femme qu'il aime, mettant les larmes aux yeux au spectateur ou au lecteur. Mais ma vie n'était pas une histoire – auquel cas j'aurais peut-être passé sous silence certaines de mes pensées peu honorables et davantage insisté sur mes bon côtés – et Guilhem n'eut pas droit à cela. Le visage tourné vers un ciel qu'il ne contemplerait plus jamais, il ne respirait plus. Mort.

Victoire apparut dans mon champ de vision et serra l'épaule de Marc qui pressait les plaies de son ami avec acharnement, comme s'il désirait arrêter l'hémorragie. Il se balançait doucement en répétant les mêmes paroles encourageantes. Un court instant, nous ne fûmes plus que nous trois, ceux avec qui tous ces événements avaient débuté, et ce fus comme si Victoire et moi n'avions jamais cessé d'être inséparables. Mon ancienne meilleure amie m'adressa une moue chagrine et tendis son autre main vers moi, refermant notre petit cercle. L'émotion m'envahit.

- On a besoin d'un médecin, bafouilla Tribal, quelque part derrière nous, dont les propos furent ponctués par les sanglots bruyants d'Amanda.

Sauf que personne ne venait. Les GEN se serraient les uns contre les autres, choqués, ne sachant que faire. Enfin, un infirmier écarta tout ce petit monde et se pencha sur Guilhem. Je ne retins rien de son apparence, mais le souvenir de son hochement négatif de tête après avoir pris le pouls de mon ami resterait gravé à jamais dans ma mémoire, tout comme la réaction de Marc.

- Non, gronda-t-il. C'est impossible ! Non, il est vivant ! Guy, réponds !

Marc empoigna le corps et le malmena, faisait ballotter sa tête dans un mouvement répugnant.

- Marc, dis-je.

Il me repoussa et se mit à hurler. Une véritable crise de colère se déchaîna en lui, forçant l'infirmier à lui faire lâcher Guilhem.

- Laissez-moi ! rugit-il. Non ! Laissez-moi ! Elle l'a tué ! Cette salope l'a tué !

Il cracha, se débattit, laissant éclater le chagrin et la haine qui l'habitaient.

Pour moi, c'en fut trop. Je pris le large d'une démarche mal assurée. J'avais froid en dépit de la chaleur ambiante, mon souffle franchissait mes narines avec difficulté et je suais à grosses gouttes. Une salive amère gagna ma bouche et, pour finir, mon estomac auquel j'avais réussi à enjoindre de conserver son contenu à sa place se révolta. Un spasme me secoua et je vomis un flot aussi épais que nauséabond.

Immédiatement, je sentis des doigts prévenants d'Allan se glisser sous mes cheveux et les rassembler afin de m'empêcher de les souiller. Il avait dû me voir m'éloigner et prévoir mon état. Avec douceur, il passa son bras autour de ma taille pour soutenir mes jambes faibles.

- Tout va bien, susurra-t-il. Calme-toi.

Je me pliai une seconde fois en deux, rendant encore et encore tout ce que j'avais ingéré le matin-même. Lorsqu'il n'y eut plus rien à vomir, je me mis à cracher de la bile, si corrosive qu'elle m'engourdit l'œsophage et me brûla la langue.

Cinq bonnes minutes plus tard, la nausée s'atténua et Allan me guida un peu plus loin pour nous éviter de rester près de l'endroit où j'avais été malade. Il me fit asseoir sans que je ne résiste et me tendit un mouchoir ainsi que sa bouteille d'eau. Docile, je rinçai ma bouche.

- Comment te sens-tu ? demanda mon mentor.

- Je..., ça va, m'étranglai-je en essuyant les larmes générées par les vomissements aux coins de mes yeux. Mais, Guilhem est... Rita l'a tué ! Pourquoi ? Pour...

Je me fis l'effet d'une hystérique mais c'était plus fort que moi. Tout mon corps était agité de frissons et je paniquai totalement.

- Chut, chut, calme-toi, dis encore Allan. Comptes avec moi, d'accord ?

- Cent-vingt-sept, mille deux cent quatre-vingt, quatre-vingt-dix-sept,...

Cette suite de chiffres, je l'avais composée avec des nombres au hasard lors de mes exercices avec Allan pour apaiser mon rythme cardiaque et respiratoire dans les situations tendues. Je la connaissais par cœur et, au moyen de longues inspirations, je retrouvai peu de sérénité.

- Il faut que tu m'écoutes, ordonna mon mentor. Tu t'en sens capable ? Continue à respirer.

Allan me prit le visage entre ses mains et plongea son regard bleu dans le mien. Les nuances de couleurs familières me redonnèrent un peu d'énergie et je hochai la tête, songeant au lien indéfectible qui nous unissait désormais. En quatre mois de formation, nous avions appris à nous apprivoiser et je pensais pouvoir compter sur lui. Secret et distant dans un premier, temps, Allan commençait à s'ouvrir un peu et à me parler de lui quand le cœur y était. Mais malgré le peu que je savais, pour l'instant, à son sujet, il était devenu un membre essentiel de mon entourage, toujours présent et sachant trouver les mots. Tout portait à croire qu'il était fiable, bien que je fus encore d'avis de laisser le temps me prouver ses intentions.

J'ancrai donc mes mains autour de ses poignets, cherchant à m'arrimer à la réalité et ouvris grand mes oreilles.

- On n'a pas beaucoup de temps, Luna, murmura très vite Allan. Ce qui vient de se passer n'aurait jamais dû se produire, tout le monde est en danger, à présent. Ces humains ont pénétré la sécurité avec une aide intérieure, ils n'auraient jamais réussi sans cela. Cela signifie que Marx héberge des traîtres entre ces murs, tu comprends ? Nous sommes en danger, toi peut-être plus que les autres si on venait à découvrir ce que tu es, je veux donc que tu sois prudente, d'accord ?

- Oui, mais...

- Reste sur tes gardes, ne parle pas à n'importe qui de ce que tu sais, j'ignore à qui on peut faire confiance, en dehors de Marwa et éventuellement de son ancien élève Samuel. Je ne vais probablement pas pourvoir rester avec toi les prochains jours car Marx risque de s'entourer des Elites pour éclaircir cette histoire. Tu me le promets, Luna ?

- Oui.

Que répondre d'autre ? L'inquiétude d'Allan à mon sujet me touchait, même si je ne saisissais pas tout. Mon mentor sourit et m'embrassa sur le front.

- Je veux que tu sache que...

Le GEN aux yeux glacés s'interrompit et se racla la gorge, mal à l'aise.

- Enfin, tu dois déjà le savoir, mais... Si je tiens à ce que tu restes en sécurité, ce n'est pas parce que Marx le veut. C'est important pour moi.

- Eh, Vallet, bouge ton cul de là ! nous coupa moqueusement Rick, dont je sentais le regarde mauvais peser sur nous depuis un bon moment. Le directeur veut nous voir, tu consoleras ta petite chérie plus tard.

Mon mentor leva les yeux au ciel de façon exagérée pour me faire sourire puis s'en alla, me laissant seule contre le mur. Dès qu'il eut disparu, la tristesse et la colère envers ceux qui avaient causé la mort de Guilhem reprirent le dessus et je me mis à pleurer. 

GENESIS (1)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant