39: Chaines

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Léanne

Je gigote mon bras de mon attelle, essayant de le mettre tout droit. La douleur aiguë de la coupure se fait toujours ressentir et je me mords la langue pour ne pas crier. Défaite de mon attelle de tissu, je fais apparaître une petite scie, pas à métaux, mais elle fera l'affaire, et commence à scier la chaîne de la menotte de ma main gauche. J'essaye de faire le moins de bruit possible, mais il faut aussi que je redouble d'ardeur, car je ne suis qu'à deux chaises de la salle vitrée.

Un maillon se casse et je me retrouve avec un bracelet sur le poignet gauche. Je m'attaque alors aux pieds. Pendant que je commence le pied droit, le tapis roulant s'avance brusquement, je ne suis qu'à une chaise de la salle. Je me fous du son que ça va causer, je scie le plus rapidement possible. Mon voisin me regarde faire, les yeux vides d'émotions.

- N'essaye pas de partir, ils font ça pour ton bien, me dit-il.

- Et qu'est-ce qu'ils vont nous faire exactement?

- Nous enlever la mémoire, évidement.

Oui, évidement, parce que tout le monde fait ça. Je redouble d'effort pour scier le maillon, mon temps se limite.

- Pourquoi essayes-tu de partir? Rien de mal ne va t'arriver. Je connais quelqu'un qui l'as eu trois fois, et il est parfaitement correct.

- Je pars parce que je ne veux pas nécessairement être ici.

Le maillon de ma jambe droite se casse.

- Oui!

Le tapis roule encore d'une chaise et je me place toute droite, cachant la scie dans mon dos pendant que la porte s'ouvre pour laisser passer ma voisine. Dès qu'elle se referme, je recommence mon cirque. Mon temps se limite à chaque flash de lumière blanche qui vient de l'autre salle. Mon poignet s'enflamme, mon bras est fatigué, mais je continue, toujours avec l'espoir de sortir d'ici. Le garçon à côté me fixe toujours, mais différemment. Je fais apparaître une scie, de la même sorte que la mienne, et lui offre.

- Non, je n'en veux pas. Je pourrais sortir de ces chaines tout seul si je le voulais, me répondit-il.

- Mais alors, pourquoi ne le fais-tu pas?

- Je ne veux plus avoir de cauchemars. Je ne veux plus revoir ce que j'ai vu, marmonne-t-il.

Super, je gage qu'il a des monstres ici. Je recommence à scier quand, tout à coup, une lumière blanche m'aveugle. La porte s'est ouverte et le tapis s'apprête à rouler. Non! Pas maintenant, attendez un peu que je puisse m'échapper. Mais je ne suis pas dans un film d'action où les héros s'échappent des griffes des méchants à la dernière minute. Le tapis s'enclenche et je me retrouve dans une salle parfaitement blanche, comme dans ma cellule. Contrairement à elle, une grande chaise trône au milieu, comme un cabinet de dentiste, sauf que plusieurs lanières de cuir y sont ajoutées. Un grand néon surplombe la chaise, la provenance de la lumière que j'ai vue plus tôt. L'effaceur de mémoire, je suppose.

Un homme vient me détacher mes menottes, me regarde, surpris quand il voit qu'il ne m'en reste qu'une. Il me les enlève, celle-là et mes « bracelets ». Je le remercie d'un coup de scie dans le ventre. Un autre homme en sarrau blanc se précipite vers moi et j'entends un déclic et le canon froid d'un fusil sur le derrière de ma tête. Je fige. On dirait qu'aujourd'hui, que seul les fusils et le fait qu'ils peuvent m'exploser le cerveau me raisonne à ne pas tous les tuer. Je laisse la scie tomber sur le sol avec un tintement métallique et lève les bras au ciel, signe que je me rends. Pour l'instant. 

Il m'adresse la chaise avec un sourire hypocrite et je m'y assois pendant qu'une petite femme, toujours en sarrau, me serre les lanières autour de poignets, des jambes et du tronc. Elle positionne le grand néon juste devant mon visage et se place près d'un petit interrupteur, dos à moi. Elle active la machine et le néon clignote, s'ouvrant doucement. Je ferme les mains en poings, plantant mes ongles dans ma peau, espérant créer un saignement. Je pourrais peut-être me rappeler de tout si je me rappelle comment j'ai eu cette blessure.

La lumière s'allume complètement. Je me tourne la tête et ferme les yeux, évitant d'accepter l'inévitable réalité.

Je vais faire partie des Recruteurs.    

la salle n.12Où les histoires vivent. Découvrez maintenant