Préface

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J'en avais mis du temps avant de ne plus être une dégonflée, comme j'avais eu tendance à le dire. Avant d'avoir un enfant, une maison et une vie de famille, je ne comprenais pas les couples qui restaient ensemble alors que de toute évidence rien ne fonctionnait. Ou du moins cette vie ne correspondait pas aux rêves qu'ils s'en faisaient.

Il m'avait fallu quatre ans avant que je me décide à réagir, à reprendre ma vie en mains et surtout à lui redonner un sens. J'avais rendez vous chez le médecin, et comme à son habitude il n'était pas à l'heure, alors je ne sais pas pourquoi, j'avais feuilleté un des magazines posés sur la table. Dans l'un d'eux, un article, une phrase: depuis quand n'avez vous pas ri aux larmes avec votre conjoint?

Etre heureuse je l'étais auprès de notre fils, Mathias, je riais avec lui, mais avec son père c'était une toute autre affaire. Depuis que Mathias était né j'avais compris que toute la passion qui nous unissait jusque là était terminée. Si Thomas était un amant et un amoureux merveilleux, c'était un père égoïste et autoritaire. Tout l'inverse de moi. Nous avions passé sept somptueuses années d'amour passionné, entre fusion et disputes hautes en couleurs. Nous nous aimions plus que tout et vivions l'un pour l'autre. Construire une famille était donc la suite logique de notre relation, malheureusement notre différence était là: nous étions des parents fondamentalement opposés. La faute à pas de chance. Notre couple s'est étiolé, nos disputes sont devenues acerbes, les rancoeurs grandissantes, nous avons fini par nous éloigner l'un de l'autre bien plus que nous aurions du.

J'ai fait de plus en plus de choses toute seule de mon côté avec Mathias et, Thomas, lui a de son côté, repris ses activités d'égoïste. Tout le monde souffrait en silence mais profitait des moments de paix pour s'amuser chacun de son côté. Comme de nombreux couples nous vivions côte à côte sans être ni heureux ni malheureux quand tout allait bien.

Alors ce jour là, chez le médecin, je ne me suis pas souvenue de notre dernier fou rire, à Thomas et moi. Je me rappelais mon dernier fou rire avec Mathias, avec Clara et Heloïse, mes super copines de galère depuis la fac, mais aucun souvenir avec Thomas. Nous qui étions si joyeux et drôles, nous étions devenus froids, ridés.... à demi morts. C'en était trop. J'avais refermé le magazine et avais quitté le cabinet sans même avoir passé ma consultation. J'étais rentrée à la maison et m'étais postée devant notre lit et l'avais étudié avec attention. Je lui disais au revoir.

J'avais rassemblé un maximum d'affaires, pris les vêtements, jouets et nécessaire pour Mathias, appelé ma mère et lui avais demandé si le studio dans le jardin était toujours disponible. Trois heures plus tard, avec l'aide de mes parents, j'avais posé mes valises dans le petit studio et avait laissé pour seule présence dans notre maison familiale, une lettre de rupture.

Sans surprise, parce que nous étions parfaitement conscients l'un et l'autre de la situation, Thomas m'avait envoyé un message pour me dire qu'il comprenait et que nous nous verrions deux jours plus tard comme je lui avais proposé. Nous nous étions installés avec Mathias et même si la première nuit avait été compliquée pour lui, je crois que j'avais fini par trouvé les mots pour que cela passe pour un jeu les premiers temps.

Deux jours après j'avais vu Thomas, nous nous étions retrouvés dans un café, sans échangé un mot, nous étions restés face à l'autre pendant une bonne demi heure, à tripoter nos verres. Il avait fini par briser le silence en demandant pardon. Je n'avais pas compris pourquoi et je crois que lui non plus alors, comme d'habitude j'avais fini par mettre des mots sur nos silences, nos douleurs, nos différences. Sans reproche ni aigreur, je voulais cette rupture propre et sans sentiment, comme était notre histoire depuis quelques années. Nous avions convenu que nous passerions la journée du lendemain ensemble tous les trois - un comble quand on sait que nous ne faisions pratiquement jamais cela lorsque nous étions ensemble - afin de prendre le temps d'expliquer la situation à notre fils. Puis il irait chez son père deux soirs par semaine et un week end sur deux.

La journée du lendemain s'était très bien passé, je pense que Mathias s'était créée une bulle afin de se protéger de la situation. Même si l'ambiance n'était pas extraordinaire à la maison, non seulement il n'avait que cette famille comme référence, mais en plus nous étions ses parents. La déchirure devait être violente, mais il ne pipait mot. Les semaines s'étaient enchainées et il avait fini par trouver son petit rythme entre chez maman et papa. Ce qui n'était pas mon cas. La première nuit passée sans lui a été atroce. A tel point que j'avais failli reprendre mes bagages et retourner vivre à la maison juste pour n'avoir jamais à le quitter. Voilà une des raisons - stupides?- pour lesquelles certains couples restent ensemble même si cela ne fonctionne plus. J'étais même montée dans ma voiture prête à repartir au charbon, les joues inondées de larmes. J'avais eu un moment de lucidité et j'avais appelé Heloïse, elle avait débarqué dans la seconde, abandonnant mari et gosses pour secourir sa copine en détresse. La nuit était donc passée, non sans mal, à grand coup de renfort de tequila et au petit matin j'avais fini par m'endormir après avoir entendu la voix de mon petit amour, qui lui aussi tout perturbé, avait souhaité parler à sa maman. Chacune de ses absences me brisait en deux, comme si on m'arrachait une partie de moi même, encore aujourd'hui.

Quatre mois plus tard Mathias et moi avons emménagé dans notre magnifique appartement du premier arrondissement. Nous avions quitté la campagne lyonnaise bourgeoise pour le centre ville. J'avais voulu me rapprocher de tout ce que j'avais toujours aimé: la vie des rues. Depuis notre séparation, après avoir appris à apprivoiser les absences de notre fils, j'avais pris gout à venir flâner dans la ville. Les maris de mes copines avaient fini par me détester - les divorces provoquent toujours ce genre de fléau dans les couples bien rangés- leur femme sortait un samedi sur deux boire quelques verres en ville. J'avais de nouveau ce petit vent de féminité, de liberté, d'innocence qui m'habitait, comme avant que je ne devienne une maman rangée à la campagne. Pourtant je n'avais pas à me plaindre nous vivions dans la campagne huppée de l'est lyonnais. Mais je me sentais coupée du monde et de la vie. J'avais la sensation d'avoir pris vingt ans le jours où j'avais accouché. Ménage, jardinage, lessives, biberons, cuisine... voilà ce qu'était devenue ma vie. Une desperate housewives sans les avantages. Revenir en ville dans un appartement, à manger à l'heure voulue, entendre la vie battre son plein par la fenêtre... c'était pour moi un bonheur sans nom. De plus, je retrouvais une espèce de jeunesse les week end où mon petit homme était chez son père. Finalement, la vie de divorcée semblait assez cool vu comme ça.

Nous avions déjà nos petites habitudes avec Mathias, le dimanche soir c'était plateau télé, on choisissait un dessin animé ensemble et on mangeait de bonne heure; le mardi soir quand il n'allait pas dormir chez son père nous allions à la bibliothèque après l'école, choisir les livres pour les deux semaines; et le vendredi où il était avec moi nous mangions à l'extérieur. Mathias adorait le rituel du vendredi soir, il se sentait grand. On adorait aller au parc de la Tête d'or se balader à vélo et aller se poser lire nos livres. La vie tous les deux était si paisible, rien à voir avec celle que nous menions à trois, malheureusement.

Au boulot c'était pareil, j'avais retrouvé du pep's dans ma vie personnelle ce qui avait retenti sur ma vie professionnelle. J'enchainais les contrats, si bien que rapidement on me confiait les plus gros clients. J'étais devenue une attachée de presse redoutable. Au bout de seulement une année après ma séparation mon chef m'a proposé ma mutation sur Paris. J'ai longtemps hésité, j'en ai beaucoup parlé avec Tom et j'ai finalement accepté, c'était une opportunité en or. Comme Mathias est encore trop petit pour prendre le train tout seul même avec le service d'accompagnement de la SNCF, Thomas a décidé qu'il viendrait un week end sur deux à Paris et son autre week end il ferait l'aller retour en train avec lui. Je ne sais pas encore si cet arrangement tiendra bien longtemps mais pour l'instant cela nous convient à tous.

Cela fait maintenant sept mois que nous vivons à Paris, nous avons toujours nos petites habitudes, Mathias et moi, mon travail me plait toujours autant, ma vie est la même qu'à Lyon à la seule différence, que je ne suis plus célibataire.

SonrisaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant