Sam & Anna, Rédemption.

Chapitre 6: Déception

Pour la deuxième fois depuis que j'étais ici, la nuit tombait. L'atmosphère des lieux changeait radicalement lorsque le jour s'assombrissait. Non pas que cet endroit soit le plus joyeux de la Terre. Si tant est que nous sommes encore sur Terre... me surpris-je à penser.

Mais la nuit ici transpirait le danger. On entendait parfois des sortes de hululements lointains. Ces sons lugubres à vous glacer le sang déchiraient le silence nocturne, tels une sombre menace planant dans les airs.

Nous étions installés à l'abri, chacun à nos places respectives, moi dans mon lit de camp bien douillet, Sam par terre sur un matelas de fortune. Mes yeux contemplaient le ciel qui s'obscurcissait progressivement à travers la lucarne. Etonnant comme on peut vite s'habituer à une nouvelle routine. Tout ça, bien que nouveau, me paraissait tellement familier. Un peu comme si j'avais toujours "vécu" ici. Et même si j'avais le sentiment que je ne devrais pas être là, j'avais pourtant l'impression d'être à ma place. Bien sûr ce n'était pas tant le fait d'être ici que d'être avec Sam.

J'ai toujours rêvé de connaître mon frère. Je dirais même que j'ai toujours eu l'impression de connaître mon frère. Je me souviens de tous ces moments de solitude où je lui parlais comme s'il était tout près de moi. Et d'une certaine façon, il l'était. A chaque étape de ma vie il était présent, à chaque réussite j'espérais qu'il soit fier de moi , à chaque échec il était mon confident.

J'ai pourtant deux sœurs et un autre frère, tous plus jeunes que moi, mais jamais je ne me suis sentie aussi proche d'eux que de Sam.
Ce lien qui nous unit Sam et moi, ce lien est tout simplement plus fort que la vie, plus fort que la mort même. J'ai toujours su que Sam était mon âme sœur, je le sais depuis toujours, avant même que ma mère ne me parle de lui, je savais que j'avais un frère là quelque part. Un grand frère qui veillait sur moi et que j'espérais rendre fier de moi.

- Sam? Murmurais-je.

-Oui Anna?

-Plus j'y penses et plus j'ai l'intime conviction que je suis ici grâce à mon désir de te rencontrer.

- GRÂCE?! M'interrompit Sam.
Anna, tu veux dire A CAUSE de ton désir de me rencontrer...

Il se leva rapidement et se campa fermement devant moi, les yeux emplis de... De quoi? De colère? Je ne reconnaissait plus mon frère lui au regard toujours si doux, si triste... Ses yeux étincelaient de fureur. Je le vis serrer fortement les mâchoires comme pour contenir les mots qui menaçaient de sortir...

Puis il reprit d'un calme qui ne pouvait tromper personne:

-Je ne comprend pas Anna, comment as-tu pu souhaiter être ici au point d'écourter ta vie?!

-Tu crois peut être que c'était un choix?! Non Sam, je n'ai pas choisi de mourir si c'est bien ce qui m'est arrivé, je pense simplement que je n'ai jamais eu réellement goût à la vie car tu n'étais pas là pour partager mes joies, mes peines, mes peurs et aussi mes rêves d'avenir... Je me suis toujours sentie si seule, si incomprise; je n'ai jamais été aussi apaisée que depuis que je suis avec toi. C'est tellement évident la façon dont on se comprend toi et moi! Et ce sans même prononcer un seul mot! Jamais je n'ai ressenti ça pas même avec nos parents, et Dieu sait que je les aime!

Je repris plus posément:

-Ce que je veux dire c'est que quoi qu'il me soit arrivé, je ne me suis peut être pas battue pour rester en vie parce que je n'avais pas grand chose à quoi me raccrocher ...

-Anna comment peux tu dire ça? Tu avais encore tant de choses à vivre!

-Ce que je vis ici avec toi n'a pas de prix Sam, peu importe ce à quoi j'ai du renoncer pour enfin te rencontrer, je ne pourrais jamais regretter ce qui m'a mené à toi...

-Et c'est à moi que tu dis ça?! mais enfin Anna, te rends-tu compte de ce que tu me dis? Te rends-tu compte de ce à quoi tu as renoncé? Tu as renoncé à la vie que je n'ai jamais eu et que je n'aurais jamais! Tu as renoncé à la vie que j'ai tant souhaité pour toi! As-tu si peu de respect pour toi, pour moi?

-Mais Sam, laisses-moi t'expliquer...

-Non Anna, je me fiches que ce soit parce que tu te sentais seule ou malheureuse... Comment crois tu que je me sens depuis tout ce temps? Il ne te vient pas à l'idée que j'ai pu me sentir seul et malheureux durant toutes ces années? Tu penses peut-être que c'est plus facile d'être coincé ici dans cet entre deux-mondes, depuis tout ce temps et sans même savoir pourquoi? Ce n'est pas le paradis Anna, c'est même loin d'être le paradis... Tu es là depuis quoi... Deux jours? Moi je suis là depuis bien avant que tu ne viennes au monde, alors permets moi te dire que je sais de quoi je parles quand je dis que ce n'est pas ce que je souhaite pour toi.

-Sam, écoutes-moi...

-Non Anna, je ne veux plus rien entendre à ce sujet. Tu me déçois, jamais je n'aurais pensé que tu aies aussi peu de respect pour ta vie, et aussi peu de respect pour ma mort.

Cette fois c'en fut trop, je rejetais rageusement la toile de jute qui me servait de couverture et me dirigeais vers la porte, peu importe qu'il fasse nuit, tout ce que je voulais c'était fuir, fuir loin d'ici, et surtout loin de la colère et des reproches de Sam.

Avant que je puisses ouvrir la porte, Sam m'agrippa fermement le bras.

-Où crois-tu aller? me dit-il d'un ton menaçant.

-N'importes où, loin d'ici! hurlais-je. Et surtout loin de toi!

J'étais furieuse, je me sentais blessée et trahie, et par nul autre que mon frère, la seule personne au monde en qui j'avais toujours eu foi.

Je ravalais les sanglots qui m'étranglaient, je ne voulais pas qu'il voit ma tristesse. Je ne voulais plus lui confier quoi que ce soit.

C'était sans compter sur les larmes qui débordaient de mes yeux.

Je le vis fermer les yeux et expirer profondément. Quand il les ouvrit à nouveau son regard était différent. C'était à nouveau mon grand frère, tendre et protecteur.

-Je suis désolé Anna, pardonnes-moi, oublies tout ce que j'ai pu te dire...

-Non Sam, tu avais raison, lui répondis-je en baissant la tête, je t'ai déçu et...

Il me releva doucement le menton.

-Anna regardes-moi. Tu ne m'as jamais déçu, j'ai eu un moment d'emportement, voire d'égarement... Pour tout te dire, j'ai ressenti... je sais que c'est égoïste, mais je me suis senti furieux et insulté que tu jettes ce à quoi j'ai tant rêvé... Je comprend que tu te sois sentie seule toutes ces années... Mais tu avais nos parents et notre frère et nos soeurs... Tandis que moi je n'avais personne, je n'ai jamais eu personne. Je ferais tout pour passer ne serait-ce qu'une journée avec eux...

-Tu n'es pas égoïste Sam, tu es humain tout simplement. En vérité, c'est moi qui ai fait preuve d'un égoïsme sans bornes... J'avais tout ce dont tu as toujours rêvé et j'ai dénigré cela... J'aurais du me battre, me battre pour être heureuse et me contenter de tout ce que la vie me donnait... Au lieu de me focaliser sur ce qu'elle m'avait enlevé... Mais tu me manquais tellement, j'aurais tout donné pour être avec toi...

-Tout cela est un beau gâchis, pas vrai?

Nous avions prononcé cette phrase en même temps, ce qui nous permit de retrouver le sourire. Nous étions bien frère et soeur, cela ne faisait aucun doute.