1- L'arrivée

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Ses yeux gris me scrutent pendant quelques secondes et il penche la tête sur le côté. Mais cela ne dure pas bien longtemps qu'il est à nouveau submergé de cris et de questions. Sa tête disparaît derrière une tignasse de cheveux platines coiffés à la perfection. Savannah se rapproche de la foule et je rebrousse chemin vers l'entrée. Les cours doivent débuter dans quinze minutes, je serai un peu en avance. Je me promène dans les couloirs quasi-déserts afin de me rendre à mon cours de français. Il n'y a personne dans la classe. J'ouvre mes livres et révise mes leçons au son des bruits provenant de l'extérieur. Je ne vois pas pourquoi il faut en faire tout un plat. Ce n'est qu'un garçon comme les autres. Bon d'accord, c'est un prince et il est plutôt mignon, mais ça n'en fait pas pour le moins quelqu'un de plus intéressant, si? Je divague dans mes pensées quand la cloche retentit. La salle est maintenant remplie à moitié, et un groupe d'étudiantes franchit la porte à toute vitesse, espérant que leur retard passera inaperçu pour cette fois.

* * *

Au milieu du cours, on toque à la porte, et le nouveau entre. Il semble à bout de souffle et justifie qu'il devait régler les derniers détails de son arrivée avec le proviseur. Bien sûr, des petits soupirs fusent dans la pièce, et il prend place là où le dernier pupitre de disponible se trouve, soit tout en avant, à droite du mien. Tous les regards sont posés sur lui. J'essaie de rester concentrée dans mon cahier, je ne peux m'empêcher de tourner la tête dans sa direction. Il esquisse un petit sourire et je baisse la tête, gênée. Madame Brown, la prof de français, l'invite à se présenter. Il s'appelle Aidan et il vient de la Suisse, mais sa mère est française. Je parie que la majorité des filles de cette classe ne sait même pas où se trouve la Suisse, mais ça ne les empêche pas pour autant de soupirer d'admiration à l'unisson.
J'ai toujours voulu aller en Europe, voir du pays. Ma mère venait d'Autriche, mais elle est décédée alors que j'étais très jeune. À cette époque, mon père et elle s'étaient déjà installés en Amérique, où j'ai toujours habité. Et, il y a quatre ans de cela, mon père a rencontré une femme, veuve comme lui, qu'il a marié un an plus tard. Par la suite, elle a emménagé avec nous, dans notre grande demeure. Elle a deux filles de mon âge; Mandy et Idrissa. Ce sont deux bimbos capricieuses qui passent leur vie à soit A) se plaindre (la plupart du temps) , B) se pomponner ou C) discuter de garçons. Je les déteste autant que leur mère hypocrite, et je crois que toutes trois ne m'apprécient pas beaucoup non plus.
Enfin bref, tout allait bien à l'époque, mon père menait une vie aisée jusqu'à ce qu'il devienne atteint d'un grave cancer des os, duquel il mourra quelques mois plus tard, alors que je venais d'avoir mes quinze ans.
Depuis ce temps, tout a pas mal changé. Ma marâtre s'est mise à m'utiliser comme son esclave et à me malmener. Ses filles ont fait pareil. Tous les jours, c'est moi qui m'occupe des tâches ménagères et répond à leurs supplices, sous menace d'être chassée de la maison, même si c'est celle où j'ai grandi.
Je ne me suis jamais plainte, mon papa me disait souvent que j'étais dotée d'un grand coeur et d'une générosité incomparable. Alors j'encaisse ces journées de travail et ces nuits au grenier, en me disant que dès que j'aurai un bon emploi et que je serai d'âge plus mûr, je quitterai cet enfer à tout jamais, et je ne reviendrai jamais en arrière.
Mais je ne suis pas encore là, non, pour le moment, je suis en plein cours de français, avec un prince suisse trop craquant qui est en train de décrire la soupe que lui faisait sa mère quand il était plus jeune. D'accord... J'ai vraiment manqué un bout. Je reviens à la réalité et tente de ne pas paraître intéressée par ce qu'il dit, au contraire de toutes les autres filles, mais son accent est si charmant, je ne peux m'empêcher de lui jeter un regard en coin tandis qu'il continue de parler de la raison de son arrivée en Amérique. Avant même que je ne puisse m'en rendre compte, la cloche retentit dans la classe, mettant fin au cours.

* * *

Aidan n'était pas dans mon deuxième cours, mathématiques, ce qui m'a permis de me concentrer un peu plus sur la matière donnée par Monsieur Levis, un vieil homme un peu trop passionné par les chiffres. Je n'ai jamais vraiment adoré les maths, même si j'y excelle, comme dans la plupart des autres matières. J'ai toujours été douée à l'école, sans même le faire exprès. Je crois que c'est un truc naturel chez moi. Ce qui m'arrange bien, puisque je n'ai pas beaucoup de temps pour étudier entre mes corvées ménagères à la maison.
Deux trois théorèmes et cinq équations plus tard, c'est enfin l'heure du dîner. Je rejoins Savannah à la cafétéria et nous nous asseyons à notre table habituelle, tout près de la fenêtre. Au centre de la pièce, à la table la plus grande, devinez qui s'y trouve? Ce fichu de prince parfait et ses demoiselles qui lui font la cour, bien entendu. Je ne peux m'empêcher de lever les yeux au ciel; Elles sont vraiment exaspérantes. C'est vrai que cela fait un bail que nous n'avons pas accueilli de nouveaux arrivants dans notre petit village, mais là, ça en est un peu trop. J'attaque mon repas tandis que Savannah l'observe de loin, songeuse. Elle soupire en souriant, et je la supplie de ne pas se joindre à ces groupies. 

- Nah, t'inquiète, je ne suis pas une fille plastique comme elles, me répond-elle. Mais comment peux-tu ne pas fondre pour lui? Il est si mignon!

Je hausse les épaules.

- Il ne faut pas se fier aux apparences.

- Dans son cas, peut-être bien que si. Je suis sûr que c'est un véritable gentleman.

- Probablement. Je te rappelle que c'est un prince. 

- Je ferais n'importe quoi pour devenir sa princesse.

- Qui ne le ferait pas? 

- Toi, peut-être?

Je ris.

- En effet. 

- Je me demande avec qui il ira au bal... réfléchit Savannah. 

- Bah, il a le choix, en tout cas. 

À ce moment, Tyler, mon meilleur ami et l'ex meilleur ami de Savannah— car il se trouve être aujourd'hui son petit ami— approche de la table, mettant fin à notre discussion. Il pose un baiser sur la joue de la jolie brune, avant de s'asseoir face à elle. 

- Excusez moi du retard, je devais aller déposer des papiers au comité environnemental. 

Tyler est si parfait. À la fois brillant, drôle et investi dans tout ce qu'il fait. Bien sûr, je ne l'aime pas, mais je voudrais d'un garçon comme ça. Je voudrais d'un garçon...
Mais je sais que ça ne m'arrivera pas. Je ne suis pas prête à aimer. Où est-ce seulement ma tête qui refuse d'écouter mon coeur?

Reine du BalOù les histoires vivent. Découvrez maintenant