26- Mensonges

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APRIL

Mais à quoi bon veut-il en venir? 

- Je pensais que c'était April qui avait cuisiné ce repas? 

Estrella semble méfiante. Elle prend vite la défensive. 

- Qu'est-ce qui te laisse à penser cela? 

- Il me semble qu'elle fait habituellement beaucoup de tâches dans cette maison, je me trompe?

Merde de merde. Aidan se tourne vers moi, et je le foudroie du regard. Je vois bien qu'il veut me défendre, mais ce n'est pas le bon moment. Il va juste faire empirer notre situation et je sais comment tout cela va finir; Je n'aurai plus jamais aucune chance de me sortir d'ici et de le retrouver. S'il tient vraiment à notre relation, il doit s'arrêter là, maintenant, tout de suite.

- Je ne vois absolument pas ce que tu veux insinuer, continue Estrella.

- Eh bien, on n'a qu'à demander à April elle-même. 

Tout le monde se retourne vers moi. Deborah et son mari sont confus, les petites soeurs d'Aidan continuent de manger sans trop s'en soucier, Mandrissa sont surprises et Estrella est en furie. Aidan, lui, croise les bras d'un air déterminé. Il hoche la tête comme pour m'encourager. 

J'hésite. 

- Hum... 

- Vas-y, April, dis nous donc qui est responsable de ce délicieux repas, insiste Estrella en haussant le sourcil. 

Son regard me transperce, et je sais que si je ne lui accorde pas la réponse qu'elle désire, je vais passer un très mauvais quart d'heure. De quel côté me ranger, bon sang? Je déteste avoir toute l'attention sur moi. J'ai envie de saisir l'opportunité que me donne Aidan de dire toute la vérité, mais je ne veux pas gâcher ce dîner, par respect pour sa famille. Mon coeur commence à pomper plus vite, mes yeux vont d'Estrella à Aidan, d'Aidan à Estrella. 

Je regarde Deborah et je me lance:

- Estrella a raison. Je n'ai rien à voir là-dedans. 

Puis je me tourne vers Aidan, le regarde droit dans les yeux et termine:

- Je ne vois pas ce qui a pu te faire croire que c'était moi, Aidan. 

Sa mâchoire tombe, il est autant surpris qu'en colère, c'est évident. Il plisse les yeux en secouant la tête, et même si je me déteste d'avoir complètement bousillé ses efforts, au fond de moi, je sais que j'ai dit ce qu'il fallait. 

Estrella reprend son air hautain, Aidan serre les dents et je me saisis du plateau de canapés. 

- Encore un autre, madame Humbert? 

Visiblement mal à l'aise, elle saute sur l'occasion pour faire tourner la discussion. 

Je fais le tour de la table en en offrant à toutes les convives. Je me surprends à retrouver  mon énergie et à être plutôt enjouée par la situation. Quand j'arrive à Aidan, je me penche vers lui et exagère un peu ma comédie:

- Aidan, tu devrais vraiment y goûter. Tu sais, Estrella fait les meilleurs hors d'oeuvres en ville. 

Il me répond en plissant les yeux, comme pour me défier:

- Merci, ça va pour moi, je n'ai plus très faim. 

Son ton est sec. Je me redresse et prend une posture semblable à celle que l'une de mes prétentieuses de belles soeurs emprunterait. 

- Très bien alors. Tu manques vraiment quelque chose. 

Je me sens mal de narguer Aidan comme ça, mais je n'ai pas le choix. Je lui ai déjà dit à plusieurs reprises que je voulais garder notre relation privée, et je veux lui montrer que ma confiance a ses limites.

Estrella, pour sa part, me remercie quand je lui offre les petites bouchées. Je peux voir de la fierté au fond de son regard mauvais. Je lui renvoie cet air de «On-sait-toutes-les-deux-la-vraie-version-mais-c'est-encore-toi-qui-gagne». Au fond de moi, cela me fait royalement « suer » qu'elle prenne tous les mérites, mais je m'amuse bien à ce petit jeu. 

Quand arrive le tour de Mandy, elle ne peut s'empêcher de s'empiffrer et de commenter, la bouche bien pleine:

- Hummmm, c'est vrai que tu fais la meilleure cuisine, m'man. 

Tout ce petit cercle de commentaires bien glissés passe inaperçu aux yeux des Humbert, mais ne contribue qu'à rendre la tension plus lourde entre ceux qui connaissent vraiment la vérité. 

La discussion continue, et Estrella finit par me demander, après s'être essuyé le coin de la bouche:

- Dis, April, tu voudrais bien aller chercher les desserts? J'ai fait de petites tartelettes, elles sont sur la deuxième tablette du réfrigérateur. 

Je pince les lèvres et feint un sourire en me levant. Elles ne sont même pas sur la deuxième tablette, mais la troisième, idiote. C'est moi qui les ai rangées. 

- Bien sûr, j'y vais de ce pas. 

Au moment où je lève le pied pour m'éclipser en cuisine, Aidan se lève d'un bond, ce qui manque de faire renverser sa chaise.

- Je vais te donner un coup de main. 

Bon dieu, oui, ce que j'ai envie de lui parler, de le sentir, le toucher. Mais je dois tenir bon. Ne pas sortir de mon rôle. Je dois le faire patienter encore, je veux qu'il regrette. 

Mais regretter quoi, au juste? me résonne ma conscience. Il n'a qu'essayé de t'aider, April. Et il a fait ça parce qu'il t'aime. Veux-tu vraiment le repousser encore, t'éloigner de lui? 

Bon sang, je sais très bien, même si je ne veux pas l'admettre, que la seule raison pour laquelle je le repousse, c'est par peur que si je tombe dans ses bras, cela me fasse encore plus mal de le quitter. Si je refuse de dire la vérité, c'est pour me protéger, pour nous protéger. Si l'on nous découvre, nos contacts ne seront pas limités, mais bien coupés. Pour toujours. Et ça, c'est bien ce que je crains le plus au monde. 

Mais Estrella met bien vite fin à ses plans: 

- Je t'en prie, Aidan, rassied-toi. April est amplement en mesure de faire ça d'elle-même. À présent, j'aimerais te parler. 

Elle marque une pause avant de préciser son intention: 

- De mes filles. 

Mon coeur s'arrête. Je me tourne immédiatement et me presse vers la cuisine pour ne pas à avoir à alimenter ma deuxième plus grande crainte: qu'Aidan tombe un jour sous le charme de l'une de mes belles soeurs. 


Reine du BalOù les histoires vivent. Découvrez maintenant