Reine du Bal

27- Tango

AIDAN

Putain, non, s'il vous plaît, tout mais pas ça.

Présentement, j'ai beaucoup mieux à faire que d'entendre quelqu'un vanter deux vraies hypocrites sans scrupule.

- Je... euh...

Mon père me toise du regard:

- Mon fils, tu vas te rasseoir gentiment et écouter ce qu'Estrella a à te dire. Je trouve que tu n'es pas très respectueux envers notre hôte... Pardonnez moi, madame Curtis, je ne sais pas quelle mouche l'a piqué.

- Moi, je pense savoir...

Elle n'a pas marmonné assez fort pour que cela se rende aux oreilles d'autres que moi, et je me demande sérieusement ce qu'elle veut dire par-là. Je la dévisage un bref instant. Bon sang, je déteste cette façon qu'elle a de hausser ses sourcils comme ça, j'en ai presque la chair de poule!

J'obéis à mon père et me rassieds en ne lâchant pas des yeux le cadre de porte par où April est sortie.

Franchement, je ne comprends pas son attitude. Elle avait la parfaite occasion de cracher le morceau, mais non! Elle a donné une fois de plus raison à sa manipulatrice de marâtre! Quand va-t-elle comprendre qu'elle est la seule à pouvoir se sortir de cette situation, merde! Je veux bien l'aider, mais si elle refuse mon aide et qu'en plus elle me fait sentir comme un moins que rien avec ce petit sourire malin que je ne lui connais pas, rien ne changera jamais. Elle sera à l'emprise de cette maison et de cette famille pour le restant de ses jours! Pourquoi ne veut-elle donc pas collaborer et tout avouer? Il n'aurait rien pu lui arriver, elle n'aurait pas pu recevoir une autre gifle, car j'aurais été là, à ses côtés. Mais plus la soirée avance, plus j'ai l'impression qu'elle me glisse entre les doigts.

- Aidan?

La voix forte de mon père me tire de mes pensées.

- Oui, excusez moi, j'étais un peu distrait, dis-je à Estrella.

Je déteste avoir à m'excuser auprès de cette sorcière.

- Je disais juste que j'étais très ravie de t'avoir finalement rencontré. Mes filles m'ont beaucoup parlé de toi.

Sans blague!

- Tu sais, Mandy et Idrissa sont toutes les deux  bourrées de talents.

Pour intimider les autres, sans doute?

- Mandy sait danser le tango!

C'est curieux, Estrella a dû réfléchir un bon moment avant de sortir ce « talent » bidon!

- Et Idrissa rêve de faire la couverture d'un magazine célèbre!

- C'est un talent, ça?

Cette remarque me vaut une tape de ma mère et de grands yeux ronds.

- Aidan, s'il te plaît!

J'en ai marre. Je veux partir d'ici. J'en ai assez entendu comme ça.

Estrella continue à s'inventer de jeunes filles parfaites, mais je n'écoute plus. J'évite de croiser le regard des deux concernées, qui me font les yeux doux en se délectant des compliments lancés à leur sujet.

Après ce qui me semble une éternité, April refait surface, me ramenant par le fait même sur terre.
Je me redresse en la voyant entrer. Elle dépose les plateaux d'argent remplis de pâtisseries de toutes sortes sur la table et s'assied. 
J'essaie de faire contact avec son regard, mais elle détourne les yeux à tout moment.

Estrella se tait le temps de prendre une bouchée, offrant à mes oreilles une agréable pause. Honnêtement, elle est presque pire à entendre jacasser que sa progéniture. Presque, je dis bien.

- Alors, Aidan, tu sais, reprend la belle-mère  entre deux bouchées, la maison est toujours grande ouverte pour toi... et ta famille, bien évidemment.

Elle s'en fiche, de ma famille. Le seul motif de ce dîner, c'était de me charmer et de me faire tomber aux pieds de ses filles, je le sais très bien. Mais malheureusement pour elles trois, cela n'arrivera tout simplement jamais.

- Et... si jamais tu cherches quelqu'un pour t'accompagner à ce bal d'automne...

Elle hausse les épaules en disant ça, comme si ce n'était qu'une suggestion lancée en l'air.

- ... je suis certaine que Mandy ou Idrissa serait ravie de combler ce poste. N'est-ce pas mes chéries?

Elles gloussent en hochant vivement la tête, ce qui doit s'avérer un exercice assez difficile étant donné la lourdeur que doit peser leur maquillage.

- Alors, qu'en penses-tu? Tu ne sembles pas avoir la langue dans ta poche, dis donc...

- Je suis certain qu'il en serait ravi.

Je me retourne vivement vers mon père. Comment décide-t-il de s'imposer comme ça, celui-là?

- Papa, j'aimerais bien être capable de prendre des décisions par moi-même, parfois.

Il ignore totalement ma remarque et continue:

- Aidan fera un excellent cavalier pour vos filles, madame Curtis. Du moins pour l'une d'entre elles...

Mandy et Idrissa sautillent sur leur chaise, Estrella est tout sourire et moi, je suis stupéfait. Tellement que je ne remarque même pas qu'April n'est plus dans la pièce.

Ma mère appuie sa main sur ma cuisse et me renvoie un regard compatissant. Elle connait ma relation avec April, du moins de surface, mais elle sait aussi bien que moi que mon père a toujours le dernier mot. Il peut bien être un roi, après tout.