29- Retrouvailles

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APRIL

Je manque de m'étouffer avec mon verre d'eau lorsque Deborah m'appelle derrière moi. Je me redresse et replace vite mes cheveux sur mon visage avant de me retourner. 

- Excuse moi, je ne voulais pas te faire peur. 

- Ça va, l'assurai-je, non sans un petit trémollo dans la voix. 

Elle s'avance vers moi et dépose une pile de vaisselle sur le comptoir. 

- Tu en es sûre? 

Je baisse les yeux et hoche la tête. 

Avant même que je ne puisse le prévoir, Deborah écarte une mèche de mes cheveux derrière mon oreille. Son geste est délicat, mais la panique me gagne et je repousse vivement sa main. 

- Désolée, je... 

Elle ne sourcille pas. Son regard est insistant. Elle semble vraiment inquiète. 

- Tu sais que tu peux m'en parler, April. Tu ne sembles pas entretenir de très bonnes relations avec ta famille, enfin avec les gens qui partagent cette demeure. 

Je ne trouve rien de mieux à dire que « C'est compliqué. » Elle pose sa main sur mon épaule. 

- Si tu veux tout savoir, je ne porte pas vraiment cette femme dans mon coeur, me confie-t-elle à voix basse. 

Cela me fait le plus grand bien à entendre. Malgré la drôle de tournure qu'a pris ce dîner, j'avais peur qu'Estrella ait pu plaire aux Humbert. À présent, j'ai l'impression de trouver en Deborah la mère que je n'ai plus. Il y a quelque chose chez elle qui m'apaise, et je sais qu'elle est digne de confiance.

- Écoute, je sais que cela doit être difficile d'en parler, mais si jamais tu as besoin d'une oreille, sache que je suis là. Il y a visiblement quelque chose qui ne tourne pas rond avec cette Estrella

Elle a prononcé son nom avec un tel dédain que je n'ai pu me retenir d'échapper un petit rire.  

- Notre maison sera toujours ouverte pour toi, ma chérie. Je peux sentir qu'il y a une connexion entre toi et Aidan, mais ne t'inquiète pas, je n'en dirai pas un seul mot. 

Elle regarde derrière son épaule, avant de lancer:

- Bon, je vais retourner chercher d'autres assiettes, sans quoi l'on risque de me suspecter d'un délit de fuite! 

Elle me fait un clin d'oeil, exactement comme son fils, puis tourne les talons. 

Je m'adosse au comptoir et réfléchis un bref instant aux sages paroles que vient de me dire la mère d'Aidan. Elle a vraiment réussi à me donner une lueur d'espoir. À peine ai-je pris la première assiette sur la pile que Deborah revient à nouveau, les bras chargés. 

Or, elle n'est pas seule cette fois. Aidan la suit de près, transportant également une pile de vaisselle. Sans un mot, Deborah dépose son fardeau, me lance un sourire rempli de bonne volonté et me souffle à l'oreille:

- Je surveillerai l'entrée à la cuisine. Ne mettez pas trop de temps. 

Puis elle ressort, me laissant avec son seul et unique fils. Tout en restant à une certaine distance, nous plongeons nos regards l'un dans l'autre un long moment, sans rien dire. Je n'ai qu'une envie, et c'est de lui sauter dans les bras. Semble-t-il partager cette envie, puisqu'il manque de faire tomber la porcelaine sur le carrelage en la déposant vite près de l'évier, avant de franchir les quelques mètres qui nous séparent en une fraction de seconde. 

Ses bras se resserrent autour de moi, m'emprisonnant de sa chaleur. J'enfouis ma tête dans son cou et pousse un long soupir de soulagement. D'un seul coup, tous mes muscles semblent se décontracter. D'un seul coup, j'ai l'impression d'abandonner ce monde cruel et de tout oublier. Mes yeux s'embuent de larmes. Nous ne parlons pas. Nous n'en avons pas besoin. Je le serre plus fort, et il prend mes joues entre les paumes de ses mains, m'obligeant à le regarder. Je ne peux plus cacher mes blessures. De toute manière, il a dû tout deviner sur toute la ligne. Je repense à mon petit jeu de tout à l'heure. Tout ça était vraiment idiot de ma part. 

- Je suis désolée, je n'aurais pas dû te...

Son pouce glisse de ma joue à mes lèvres et me fais taire. 

- Je t'aime, April.

Il pose un léger baiser sur mon front. Par-dessus son épaule, j'aperçois la chevelure rousse de sa mère réapparaître. Je repousse Aidan et m'affaire à la vaisselle telle une hypocrite, par peur qu'elle ne soit à nouveau accompagnée, seulement cette fois d'une personne putôt indésirable. 

À ma grande satisfaction, ce n'est pas le cas. 

- Ils sont passés au salon, nous dit-elle. Je leur ai dis que tu avais besoin d'un peu d'eau fraîche mais que tu ne tarderais pas à nous rejoindre, continue-t-elle, cette fois à l'intention d'Aidan. 

- Merci, maman. 

Elle hoche la tête en signe de contentement et nous laisse à nouveau à nous-mêmes. 

Je prends la main d'Aidan. 

- Je t'aime aussi. Seulement, je ne sais plus quoi faire. Je me suis fait confisquer mon téléphone, mon portable et pratiquement le trois quarts de mes effets personnels. Estrella ne veut même plus que j'aille à l'école. 

Sa mâchoire se serre. 

- Tu n'es pas vraiment tombée des escaliers, hein? C'est elle la cause de tes blessures sur ton visage, pas vrai? 

J'acquiesçe. Aidan secoue la tête. 

- Elle va tellement te le payer cher, celle-là. 

Il prend une pause.

- Oh bordel, April. Elle va vraiment payer pour ce qu'elle t'a fait, tu peux me croire sur parole! 

La colère le gagne, on dirait qu'il va exploser. Il se met à regarder autour de lui et à respirer bruyamment. J'essaie de le calmer. 

- Hé, hé, ça va. Ne t'emporte pas. Ce n'est grave. 

- Pas grave? PAS GRAVE?! Si ça ce n'est pas grave, alors qu'est-ce qui peut bien l'être!?

Je prends ses mains, le force à me regarder, mais il n'y a rien à faire. 

- Je ne peux pas garder ça pour moi, April. 

- Tu le dois. Il le faut. Hé, regarde moi. Fais ça pour moi, ok? 

- Tu mérites bien mieux que ça. Il faut que ça cesse. 

Il s'éloigne vers la porte menant à la salle à manger à grands pas. Je pars à la course derrière lui, malgré mon corps meurtri qui me fait souffrir à chacun de mes mouvements. 

- Aidan! Que vas-tu faire? 

Il prend une pause dans son élan et se retourne vers moi, le regard dur:

- Je vais péter un câble.


Reine du BalOù les histoires vivent. Découvrez maintenant