7- Confessions

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Nous regagnons le rocher. Il me soulève à nouveau pour m'aider à remonter et il grimpe à mes côtés. 

- Okay, bon. Alors...

- Prends ton temps, me dit-il. 

Je prends à nouveau une longue inspiration et me lance dans mon récit. 

- J'ai toujours vécu ici, dans ce village, dans la même maison et avec les mêmes gens. Mes parents vivaient heureux et en harmonie avec tout le monde. Mon père dirigeait une grande entreprise et avait donc beaucoup d'argent, alors que ma mère était maîtresse d'école à la maternelle. Elle adorait les enfants. Elle est décédée le 27 novembre de mes six ans. Elle revenait de son travail et a eu un accident de voiture. Elle a heurté un bus et ça l'a tuée instantanément. Par la suite, mon papa a eu beaucoup de difficulté à s'en remettre. J'étais jeune, mais je savais que ça l'affectait beaucoup. Pour me rassurer, il me répétait qu'au moins, elle n'a pas souffert des mois à l'hôpital. Mais il avait de la difficulté à se rassurer lui-même. Il est tout de même resté fort et a bien camouflé sa peine. Sept ans plus tard, il a rencontré une autre femme, veuve comme lui. Estrella. La mère du duo Mandrissa. Il l'a épousée un an plus tard. Mais je suis persuadée que sa femme ne l'aimait que pour son argent. Deux ans plus tard, il a été atteint d'un cancer des os et en est décédé alors que j'avais quinze ans. 

Je prends une pause. Ma respiration est saccadée. Aidan me masse le dos. 

- Je... April... Je suis tellement désolé, je me sens terriblement mal. Je n'aurais pas dû te demander de me raconter tout ça. Tu sais, tu n'es pas obligée de continuer de...

Je le coupe d'un geste de la main. Pour une fois que j'ai réussi à en parler sans trop faire renaître mes émotions, je vais le raconter jusqu'au bout. 

- Ça va. C'est pas fini...

 ...Loin de là, ajoutai-je dans un murmure.

Je finis de lui raconter l'histoire douloureuse qu'est ma vie dans les moindres détails, peut-être même encore plus détaillée que je la version racontée à ma meilleure amie. Est-ce normal?

Je continue mon récit avec mes belles-soeurs et les tâches que l'on me donne tous les jours. Je parle vite, sans m'arrêter. J'ai l'impression d'être un nuage de pluie qui déverse toutes ses gouttes, une à une, mais qui à la fin créent une inondation.

 Une fois que je lui ai tout dit, je respire bruyamment. À ma grande surprise, je n'ai pas versé une larme. Je me sens libérée, libérée d'un poids énorme. Je me tourne vers Aidan; je fixais l'horizon depuis le moment où j'ai ouvert la bouche. Les arbres au loin semblaient se transformer en personnages animés. Je revoyais ma vie défiler devant moi, et je mettais des mots sur ce spectacle si triste que l'on me délivrait. 

Sa mine est complètement différente que d'habitude. Je l'ai toujours vu sourire, toujours radieux. Maintenant... Maintenant je ne pourrais mettre un mot exact sur l'expression qu'il affiche. Il semble... Chamboulé?

Il me regarde mais ne dit rien. 

- Alors, ça a satisfait ton esprit curieux? lui demandai-je sur un ton léger. 

- April... Vas-tu me pardonner un jour? J'ai joué au con. Je t'ai obligée à me le dire, maintenant je me sens terriblement mal et je ne p...

Je le coupe doucement en posant ma main sur son épaule. 

- Non, Aidan, au contraire. Je te remercie de me l'avoir demandé. Ça m'a fait un bien fou. 

Et c'est vrai. Je pense ne m'être jamais sentie aussi vidée, aussi légère. J'ai l'impression que chaque brise qui souffle pourrait m'emporter dans les airs. 

- Ah oui?

- Oui, vraiment. Merci. 

- Tout de même... C'est terrible comme histoire.

- Je sais, mais que veux-tu que j'y fasse? Ce qui est fait est fait. 

Un silence s'installe, mais je le romps presque aussitôt:

- Oh, Aidan, tu as vu le ciel? La nuit ne va pas tarder à tomber, regarde, le soleil se couche. Nous devrions nous dépêcher de partir d'ici au plus vite. 

Il acquiesce et nous descendons du rocher aux confessions. Je regarde aux alentours. Je n'ai aucun point de repère dans cette forêt. Je commence à paniquer un peu.

- Euhm, Aidan? Tu as une idée de l'endroit où aller?

Il me regarde et me sourit de toutes ses dents. Il me tend son bras et je prends sa main. Il serre la mienne et me chuchote à l'oreille:

- Absolument pas. 

Je ravale ma salive. Je n'ai aucune envie de passer la nuit ici. 

- Bon. D'accord...

- Viens, je te promets que l'on va retrouver notre chemin. 


*  *  *

Nous avons dû marcher au moins une heure à travers les branches et les roches, et nous avons trébuché plus d'une fois. Pas longtemps après être partis du rocher, il s'est mis à faire noir, très noir, et Aidan a ouvert la lampe torche sur son portable. Nous avons finalement abouti en dehors de la forêt sans avoir rencontré de bêtes ou d'autres choses dans le genre. Je dois admettre que j'ai eu la frousse, mais c'était à la fois très excitant. Je ne vis pas beaucoup d'aventures, mais j'adore quand la sensation d'adrénaline monte en moi. 

En sortant des sentiers battus, nous arrivons en pleine ville. Il est huit heures et demi. Je soupire de soulagement en reconnaissant les hauts bâtiments qui s'élèvent vers le ciel. 

- J'ai faim, lance Aidan. 

- Moi aussi, dis-je après avoir échappé un gargouillement d'estomac. 

- Tu connais un bon resto?

- Euhm, pas vraiment... Je ne suis pas allée très souvent au restaurant...

Je baisse la tête. Il soulève vite mon menton avant que je n'aille le temps d'apercevoir le bout de mes chaussures. 

- Hey, c'est pas grave, voyons. On va trouver. Viens, c'est moi qui invite!

Je lui souris. Il a ce don de me remonter le moral. Nous marchons dans les petites rues qui mènent à la place centrale de la ville. Nous faisons le tour des restos et Aidan repère un comptoir de fast food assez appétissant. Nous nous commandons chacun un gros hamburger avec des frites. Ça m'a l'air délicieux. Aidan paie et nous allons nous asseoir sur un banc en face d'une fontaine afin de déguster tranquillement nos festins. Je croque à pleines dents dans mon repas. Les goûts se mêlent dans ma bouche, provoquant une explosion de saveurs. J'avais oublié à quel point la nourriture des restaurants était bonne. La dernière fois que j'en ai mangé remonte à... ma foi... très longtemps. 

- Tu aimes ça? me demande Aidan.

Je hoche vivement la tête en guise de réponse, la bouche pleine. 

Nous mangeons côte à côte sur le banc, le bras d'Aidan autour de mes épaules. Nous discutons et admirons les jets d'eau devant nous qui nous offrent un spectacle de toutes les couleurs. Mon nouvel ami fait plein de blagues et chaque rire qu'il provoque en moi me libère encore plus. 

Je passe une super soirée, je ne fais que m'amuser et, pour une fois depuis des lustres, je me sens bien, je me sens libérée, je me sens... moi-même

Reine du BalOù les histoires vivent. Découvrez maintenant