Reine du Bal

36- Westerlake

AIDAN

Je quitte la gare pour regagner la voiture. Bon sang, mais quelles étaient les chances que je la croise ici, à ce même moment? Au moins, je suis averti de sa petite visite surprise pour tenter de me reconquérir ou je ne sais quoi encore. 

Je soupire de soulagement en voyant qu'April s'est endormie. Au moins, elle n'a pas dû trouver le temps trop long. J'ouvre la portière et m'assieds. Je dois prendre une décision éclairée, et au plus vite. 

Je décide de me rendre dans la ville la plus proche, Westerlake. J'y passerai la nuit avec April. Je ne suis pas encore sûr de savoir s'il vaut mieux retourner à Norshore et confronter mon père, Estrella et maintenant Rebecca, ou bien se sauver encore quelque temps. 

Je mets la clef dans le contact et me fie au GPS sur mon téléphone. Ce n'est qu'à une dizaine de minutes de la gare. 

Le soleil plombe à l'extérieur, et les paysages qui défilent m'aident à me détendre suite aux derniers jours qui furent assez intenses. Je songe à Rebecca. Devrais-je en parler à April? Enfin, bien sûr que oui, mais dans tous les détails? La dernière chose que je souhaite est bien d'empirer le tourbillon d'émotions qu'elle doit affronter en ce moment. 

Une fois la destination atteinte, je me stationne près d'un parc et réserve en ligne la suite d'un hôtel cinq étoiles. J'ai envie qu'April passe un bon moment, elle mérite d'être enfin traitée à sa juste valeur: telle une princesse. 

Au moment où je commence à regarder pour un bon restaurant où aller manger, elle se réveille et s'étire un peu. Ce qu'elle est belle. 

-  Bonjour jolie demoiselle. 

Elle regarde à l'extérieur. 

- Où sommes-nous? 

Je lui souris et lui prends la main. Elle est glaciale.

- Nous sommes à Westerlake. Nous allons passer la nuit ici. 

Elle fronce les sourcils. 

- N'avais-tu pas acheté des billets de train, à la gare? demande-t-elle. 

- Les départs étaient complets pour aujourd'hui. Je compte réessayer demain matin. 

Elle opine lentement du chef, assimilant l'information. La pauvre, elle m'a l'air si faible. Ses blessures sont encore très apparentes et je vois qu'elle est fort préoccupée. J'espère seulement ne pas avoir commis une erreur en l'amenant jusqu'ici... 

Après tout, il est trop tard pour regarder en arrière. 

- Je t'ai préparé une petite surprise. Je vais m'assurer de tout mettre en oeuvre pour que tu puisses passer une soirée digne de ce nom!

Elle sourit malgré la tristesse qui voile son regard. 

- Tu as envie d'aller marcher un peu, après toutes ces heures de voiture? 

Elle hausse les épaules. 

- Cela ne ferait pas de mal, en effet. 

Je fourre les clefs de la voiture ainsi que mon téléphone dans la poche de mon pantalon, remarquant au passage qu'April et moi sommes encore vêtus de nos habits du dimanche, faute d'avoir quitté à la hâte. 

J'attrappe la main de ma compagne et nous nous engageons dans le parc. Malgré mes efforts pour entretenir la discussion, April est peu bavarde. Je peux comprendre, elle a besoin de temps pour réfléchir et doit avoir le moral bas. N'empêche, je donnerais n'importe quoi pour voir un sourire naître sur ses lèvres... J'ose espérer que notre petite soirée saura remédier à la situation.

Nous continuons notre promenade en silence, chacun profitant de l'air frais pour renouveler ses pensées et évacuer tout ce stress accumulé. Quelques heures plus tard, nous regagnons la voiture et je prends la direction de l'hôtel. Durant le trajet, je jette quelques coups d'oeil à April, qui a les yeux rivés vers l'extérieur de la fenêtre. Je n'ose pas entamer de conversation. 

Une fois sur place, je prends mon sac et Barnabé et me dépêche de contourner l'automobile afin d'aller ouvrir la portière du côté passager. 

Je tends ma main vers April, ce qui la fait sourire. 

- Mademoiselle?

Sa main rencontre la mienne et elle sort de la voiture à son tour. 

- Mais quel gentleman! 

J'effectue une révérence: 

- Rien de moins. 

Elle rit légèrement tandis que nous nous dirigeons vers l'entrée. Le portier nous ouvre la porte, non sans cacher une certaine perplexité face à l'énorme ourson que je tiens entre mes mains. Puis, à son tour, la réceptionniste nous accueille en affichant pratiquement la même mine que son collègue. 

- Bonjour, je peux vous aider? Vous... cherchez une attraction touristique dans la région? 

Je penche légèrement la tête sur le côté, plisse les yeux et lui renvoie mon plus beau sourire. 

- Non madame. À vrai dire, nous avons une réservation dans cet hôtel. 

Elle semble surprise, mais se ravise aussitôt de s'excuser pour le jugement porté à notre égard. 

- Ce n'est rien, dis-je pour la rassurer. C'est au nom de Aidan Humbert. 

Tandis qu'elle pianote sur le clavier de son ordinateur pour trouver la réservation, je surprends April à scruter les alentours. Je l'imite. 

Ma foi, l'endroit est vraiment somptueux. L'attitude des employés n'étaient pas à plaindre; il faut dire que du haut de nos dix-sept ans et avec notre ours en peluche, nous devons nous démarquer largement de la clientèle habituelle. 

- Oui, monsieur Humbert, je vois que vous aviez réservé la suite. 

Elle semble d'autant plus étonnée. 

- C'est exact. 

- Tenez, voici la clef. Elle se situe au dixième étage, numéro 1005. Souhaitez-vous que je fasse monter vos... bagages? 

- Ça ira, merci. 

Je réussis à sortir April de son état admiratif des lieux et la guide vers les ascenseurs. Une fois arrivés devant la porte de notre chambre, je donne lui donne la petite carte pour déverouiller la porte.

- Après vous, très chère.  

Les yeux émerveillés, elle appuie la carte contre le détecteur au-dessus de la poignée et pousse doucement la porte. Une fois à l'intérieur, elle s'arrête net. 

- Aidan... 

Les yeux ronds et la bouche entrouverte, elle balaie des yeux l'énorme pièce qui se dresse devant elle. J'entre à mon tour. 

- C'est tout simplement... C'est magnifique, Aidan. 

Elle se retourne vers moi et en voyant le début d'un sourire soulever le coin de ses lèvres, je me dis que je suis en voie d'accomplir ma mission haut la main.