*******EMMA*******
Installée depuis peu à Genève c'est une nouvelle vie que je commence... enfin une nouvelle étape de ma vie devrais-je dire.
J'ai pris cette décision il y a trois mois et tout mis en œuvre pour sauter le pas rapidement avant de changer d'avis. C'est confortable de garder ses habitudes... son boulot, sa maison, son pays, ses amis, sa famille... ne pas prendre de risque, mais voilà, j'ai toujours été une frondeuse alors le changement ça me plaît... même si la peur est toujours là.
J'ai détesté les neuf derniers mois, ils avaient laissé bien trop de traces dans une vie qui jusqu'alors était parfaite... des traces dans ma tête, dans mon corps aussi. J'avais traversé l'enfer. Bien sûr il y avait eu quelques moments heureux, de la joie même, ça permettait de supporter l'insupportable, mais le voile de tristesse n'avait jamais été bien loin. Pendant tout ce temps j'avais l'impression que ma vie était en suspens... en attente du bonheur perdu.
Je dois commencer par apprendre à m'aimer à nouveau. La petite fille pétillante que j'avais été, aimée et chérie de mes parents et de mon frère, la jeune fille belle et intrépide que j'étais devenue plus tard avait laissé place à une jeune femme torturée, malheureuse et terriblement solitaire.
Mon choix pour la Suisse est dû au fait que je cherche toujours à retrouver une famille... qu'importe comment, mais j'ai besoin de ça... même s'il faut pour cela que je me greffe à une autre. Mon oncle et ma tante ainsi que leurs enfants, Olly et Audric, habitent la Suisse, nous avions souvent passé l'été là bas. Quand mon frère de dix ans mon ainé avait pris son indépendance, papa, maman et moi avions continué à venir là. Je suis très proche de mes cousins, en même temps je n'en ai pas beaucoup, ce sont les seuls. Olly, mon ainée de trois ans venait de fonder sa propre famille avec Mathieu : Ellie, leur petite fille avait tout juste trois mois. Audric et moi avions le même âge.
Mon frère n'avait opposé aucune difficulté à ce que je quitte le Canada. Il n'aurait pas pu m'en empêcher. Il m'avait même poussé à partir... Très protecteur il avait toujours pris grand soin de moi. « Un deuxième papa » aimaient à dire nos parents... Mais je crois que le lien qui nous unissait n'avait pas survécu à ces neuf mois.
Ce matin en chaussant mes runnings, mon état d'esprit est des plus combatifs. Je dois perdre le poids pris depuis neuf mois pour me plaire à nouveau. Je n'ai jamais été fine comme ces « skynny girls » qu'on voit dans les magazines. Je n'ai jamais eu de souci avec mon apparence, toute en rondeurs et en courbes... un corps de black quoi. J'étais bien dans ma peau dans tous les sens du terme, mes parents y avaient toujours veillé. Ils m'avaient inculqué que la différence était une force et qu'on ne devait pas en avoir peur.
Bas de jogging noir, t-shirt et sweat à capuche gris étaient ma nouvelle tenue préférée. L'air frais emplissait mes poumons et me rendait tellement vivante. Mes écouteurs dans les oreilles, je commence à trottiner doucement... En fait je déteste le jogging. Entre mon surpoids sur mon genou gauche particulièrement sensible, et ma poitrine généreuse, courir n'était pas une sinécure. Mais je sais surtout que c'est le moyen le plus rapide d'amorcer ma perte de poids.
« Allez ! Une petite accélération sur quelques mètres, poulette, t'es capable ! »
Les yeux baissés je ne remarque pas l'homme qui vient brusquement de stopper avant de faire demi-tour sur lui-même. Le choc me propulse en arrière, les quatre fers en l'air, fendant par la même occasion ma lèvre inférieure. Déjà le goût métallique du sang envahit ma bouche, je ne peux m'empêcher de lâcher un chapelet de jurons
L'homme n'a pas bougé d'un pouce et me regarde, interloqué
-Qu'est ce que vous faites là ? me lance t-il, surpris et... en colère ?
-Ça se voit non ? Je nage, triple con !
L'homme eut une seconde de surprise puis se radoucit. Il voulut me tendre la main pour me relever. Je ne la lui prends pas. Basculant sur le côté, une main au sol, je me relève. Je suis consciente que le spectacle inélégant que j'offre n'a rien de glamour. Mais je m'en moque. Je tâche de me débarrasser des gravillons qui se sont incrustés dans mes paumes et frotte mes fesses qui ont subi le même sort.
Il reste debout à m'observer, le visage neutre, me jaugeant de bas en haut.
-Je sais ce que vous vous dites, pensé-je : une grosse vache qui veut perdre du poids ?... Ben, elle vous dit merde la grosse vache !
Au regard tout d'abord surpris, puis offusqué de l'homme, je comprends que je n'ai pas uniquement pensé la dernière phrase, mais bel et bien exprimée à voix haute.
Honteuse de l'avoir insulté une fois de plus et aussi de m'être qualifiée de grosse vache, je me dépêche de remettre mes écouteurs, rebrancher mon Iphone et tente de repartir dans ma course... ou marche... enfin ce que mon genou voudrait bien m'autoriser. Malheureusement ce dernier n'a pas du tout aimé la chute, comme en témoigne le sinistre craquement qu'il émet en se bloquant net, me soutirant une grimace de douleur alors que je tente de reprendre ma marche. Je perds l'équilibre et cette fois j'ai le réflexe de mettre les mains en avant, avant de plonger tête la première, évitant ainsi de me ruiner davantage le visage... une lèvre fendue c'est bien assez.
Le rouge me monte au visage de rage et de honte car pour la seconde fois en moins de dix minutes, je venais de m'étaler de tout mon long devant cet homme dont la beauté ne m'avait pas échappé.
Sans demander mon avis, il me contourne, glisse ses bras sous les miens pour me relever. Je suis étonnée de me retrouver sur mes deux pieds sans avoir eu à forcer. Puis il revient se placer devant moi, tout en me tenant fermement des deux mains... Lui comme moi, sommes conscients que le craquement entendu plus tôt n'avait rien d'anodin.
Je veux m'avancer jusqu'au banc qui me fait face mais la douleur paralysante irradie toute ma jambe, me faisant monter à la fois les larmes aux yeux et un tonitruant :
- Sacrément !*
L'homme ne fait aucun commentaire, mais je me doute qu'il ne doit pas en penser moins... Ce n'est pas dans ma nature de jurer, mais là... en très peu de temps, le sort s'était ligué contre moi.
-C'est bon, vous pouvez me lâcher lui dis-je. J'avais hâte qu'il parte et surtout aucune envie dans les prochaines minutes de jurer ou de m'étaler encore une fois devant lui. Je peux me débrouiller toute seule, ajoutai-je
Il reste à proximité – prêt à me soutenir à nouveau probablement – pendant que j'avance péniblement vers le banc. Une fois que j'y suis appuyée, il se retourne pour récupérer mon Iphone et ma bouteille d'eau que j'ai eue le réflexe d'envoyer sur la pelouse, juste avant de tomber la tête la première. Il me tend le tout, avec un visage inexpressif ce qui, je ne saurais l'expliquer, eut le don de m'énerver un peu plus
-Oh ça va hein... je sais ce que vous pensez
-Vraiment ? répondit-il d'un ton sec.
Nous nous dévisageons un moment et il tourne les talons avant de repartir en courant et me laisse complètement interdite.
-Mais quel con ! criai-je assez fort espérant qu'il m'entende.
(*) Juron québécois
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Destins croisés : It's always been us [Terminée]
RomanceUne première rencontre plutôt détonante... Et si les choses étaient déjà écrites ? Si nous ne pouvions échapper à notre destin... Si notre seul choix était de prendre un chemin différent mais pour arriver au même point. Y'a un diction dans une lan...