DANS L'OBSCURITÉ, il ne peut discerner aucun visage, aveuglé par les projecteurs qui sont braqués sur lui. Il porte sa main au-dessus de ses yeux à la manière d'une visière contre l'éclat de la lumière, et scrute la salle omnisports. Comme pour répondre à sa demande muette, un spot balaie l'arène. L'espace d'un instant, il voit clair.
Au fond de la salle, tous les sièges sont occupés, bien que la plupart des spectateurs aient choisi de se lever pour mieux se dandiner au rythme de ses chansons. Dans la fosse, le public est déchaîné. Les gens jettent leurs poings vers lui, secouent leur tête férocement dans tous les sens, scandent le même mot du bout de leurs lèvres ; son nom. C'en est presque menaçant.
Il prend soudain conscience que pas moins de vingt mille personnes l'entourent. Parcouru de tout son corps d'un frisson mêlant excitation et anxiété, il cligne des yeux.
Tout redevient noir.
Il n'a plus besoin d'éclairage, cela dit. S'il en doutait, il sait maintenant qu'il a capté l'attention de l'auditoire. Vingt mille cœurs sont venus battre pour lui cette nuit, et il n'a certainement pas l'intention de les décevoir.
Lorsqu'il entame le refrain, tout le monde s'égosille à l'unisson. Il pourrait tendre son micro en direction de la foule : beaucoup d'artistes aiment se prêter à ce jeu. Mais pas lui. Il ne veut pas leur faire croire qu'il est émerveillé au son de leur voix alors qu'il n'entend absolument rien — son oreillette ne lui envoie aucun retour. Et puis, il aime trop ses propres mots pour les prêter à quelqu'un d'autre.
Vient alors le moment où il n'a plus rien à chanter. Il est à bout de souffle, ses jambes menacent de flancher, ses doigts ne peuvent plus retenir le micro. Il le laisse donc tomber sur la scène, et plonge dans la nuée de bras qui se lèvent devant lui.
Emporté par le cortège, il ne pense plus à rien ; il ressent tout. S'il osait, il pourrait presque qualifier cet instant d'expérience religieuse. Lui, à plat ventre comme une planche, cahoté de gauche à droite. Des flashs qui jaillissent de partout. Quelques mains, parfois indécentes, qui se promènent sur son corps, le décoiffent, arrachent ses vêtements. Il s'en moque éperdument.
Le spectacle est terminé, les lumières s'éteignent pour de bon. Il n'a plus d'autre choix que de sombrer dans la marée humaine. Il ne prend pas la peine de se débattre : c'est ici qu'il appartient.
Il s'enfonce.
Et sur sa tombe, on gravera ces mots en lettres d'or,
MILES KANE EST ENFIN
UNE PUTAIN DE ROCKSTAR.
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EUPHÉMISTE
Teen FictionMiles chante, pas mal. Miles fume, beaucoup. Miles sourit, boit, pleure. Miles irradie de rouge ; Miles est malheureux. Et puis il y a Alex. © tatsuki fujimoto pour la couverture