14. PRODROME DE L'OURAGAN

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À MOITIÉ ÉCROULÉ sur sa table, Alex peine à réprimer un bâillement. Depuis que les cours ont repris, il doit jongler entre la musique, le travail et l'université, et ses heures de sommeil se sont ainsi vues amoindries. C'est donc tout naturellement qu'il a choisi le cours de Mr Picker pour rattraper sa nuit.

— Bah alors, t'as pas l'air en forme, lui glisse Matt. Vous avez des nuits trop chargées avec Miles pour que tu puisses dormir ou quoi ?

— Ouais, on joue à la bataille navale, répond Alex.

Matt glousse.

— T'es vraiment relax pour quelqu'un qui a embrassé un mec. Ça change. J'adore ce nouvel Alex. Tu devrais rouler des pelles à Miles plus souvent.

Alex grogne et enfouit son visage dans ses bras croisés. Bien sûr, il avait dû raconter ce malencontreux épisode à Matt. Et bien sûr, ce dernier n'arrêtera jamais de le charrier là-dessus.

— Vous en avez discuté, au moins ?

Alex secoue la tête, toujours la face contre le bois de la tablette écritoire. Miles et lui n'ont jamais parlé du baiser. Le chanteur est encore moins dans son assiette que d'habitude, et mettre le sujet sur la table ne semble pour le moment pas être l'idée la plus judicieuse. Pas comme s'il y avait grand chose à dire dessus. Ce n'était qu'un smack échangé, rien de plus, pas même la langue. Ils l'ont fait, puis ils se sont séparés et sont allés se coucher. Fin de l'histoire.

Alors oui, il est possible qu'Alex soit trop détendu. À en croire les histoires clichées, il devrait passer par les stades de la peur, du doute, puis de la rationalisation et du déni. Il devrait se rassurer en se répétant qu'il n'est pas gay puisqu'il a toujours été attiré par les filles — et les seins, les seins, les seins — et puis parce qu'il a fait un test sur internet qui lui a bien certifié qu'il est 100% hétéro.

Pourtant, il ne se pose pas ce genre de questions. C'est un adulte, damn it. Pas un adolescent qui se questionne encore sur sa sexualité. N'importe qui aurait envie d'embrasser son chanteur préféré, non ? Ça ne veut pas dire qu'on est homo. Matt est du même avis ; il a même ajouté qu'il ne dirait pas non pour copuler avec Iggy Pop, ce qui est juste dégueu puisque « L'iguane » a dépassé la soixantaine depuis longtemps. Donc pas de quoi s'inquiéter.

— Je vous présente Mr Herbert, lance la voix lointaine du professeur de musique. C'est un ami à temps plein, et producteur à ses heures perdues.

Il se tait quelques secondes, attendant qu'une âme charitable réagisse à sa blague. Personne ne daigne le faire. Embarrassé, il laisse échapper un gloussement forcé de ses lèvres et reprend :

— Je lui ai proposé d'assister au cours d'aujourd'hui et il a accepté. Qui sait, il découvrira peut-être dans l'un de vous son futur protégé ! Ha ha !

Cette dernière information pique la curiosité d'Alex, tout à l'heure perdu quelque part dans les limbes cotonneuses. Il s'arrache des bras de Morphée et se redresse pour voir, à côté d'un Mr Picker plus que décontracté, un quarantenaire tiré par quatre épingles. Les deux forment une paire dépareillée, un véritable couple incongru à la Laurel et Hardy.

— Ha ha, répète Matt au creux de l'oreille de son ami. Picker fait genre, mais il est pas convaincu. Il sait qu'on est des gros nazes.

— Avant les vacances, continue le professeur, je vous avais demandé d'écrire une chanson. J'espère que vous avez pris soin de la peaufiner depuis. Un volontaire pour montrer à la classe ce qu'il a fait ?

Andy est le premier à lever le doigt ; du regard, il cherche l'approbation de sa voisine. Alex roule des yeux. Le gars est vraiment prêt à n'importe quoi pour impressionner Alexa, bien que celle-ci prête plus attention à son téléphone portable qu'à lui.

EUPHÉMISTEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant