LES VACANCES SONT une bénédiction. En particulier celles de Noël, longues de trois semaines, bien que leur nom soit un piège — elles débutent et s'achèvent bien avant décembre. Merci à la personne qui s'occupe des emplois du temps de l'université.
Tout de même, cette pause de trois semaines est une période bénie, pendant laquelle Alex peut folâtrer entre virées de longboard au skatepark, recherche intense de vinyles collector chez le disquaire du coin, et écriture.
Surtout écriture, en fait.
Fuck, dans quelle galère s'est-il lancé ? Deux semaines pour composer cinq chansons, vraiment, Turner ? Le producteur de Miles Kane s'attend maintenant à lancer le nouvel album de son protégé dans un mois, à cause de son affirmation.
Certes, le premier opus de Black Sabbath a été enregistré en trois jours, et il n'a fallu que treize heures aux Beatles pour boucler le superbe Please Please Me. Quant à l'écriture... Led Zeppelin a imaginé Rock & Roll, l'un des morceaux géniaux de leur quatrième album, en trente minutes. (Même s'ils étaient sûrement dans un état second, la performance reste à saluer.) Et Losing My Religion, de REM, a été rédigé en dix minutes par le guitariste pendant qu'il regardait la télé. Donc oui, pour eux, un mois de travail, c'est largement assez, avec leur talent. Un mois de travail, c'est les statues des Brits, le 10/10 de Pitchfork et la couverture de Rolling Stone assurés. Mais ces types-là sont spéciaux. Alex ne l'est pas.
« Je ne veux pas quelque chose de très compliqué. », lui a dit Kane. « Des paroles intimes dans lesquelles on peut tous se retrouver, vous voyez le truc ? On va partir sur une base de trois minutes, d'accord ? » Plus facile à dire qu'à faire. God, Alex a besoin d'un café.
Il se traîne jusqu'à la cuisine pour se servir en cappuccino. Son mug débordant, il ouvre les volets de la pièce étroite et s'accoude sur le rebord de la fenêtre. Aucun rayon de soleil ne vient rencontrer son visage blême, seulement un courant d'air qui le fait tressaillir ; l'hiver approche à grands pas.
Dehors, des adolescents arrachés trottinent bras dessus bras dessous sur la chaussée, des soutifs par-dessus leurs vêtements, vestiges de la nuit passée. Des asphalteuses déjà à leur poste, couvant leur territoire avec une diligence digne des chiens de garde, les accostent quand ils passent devant elles. De leurs yeux éberlués, ils fixent la simple paire de collants en résille qui couvrent leurs jambes sveltes avant de dégueuler dans les égouts.
Alex observe des yeux las cette jeunesse qui fuit vainement sa misère. Malgré la perversion des habitants, il aime High Green. C'est une ancienne banlieue industrielle de Sheffield. Avant, les maisons standardisées, alignées les unes contre les autres, lui donnaient le cafard. Trop conventionnel et austère pour rassasier sa soif enfantine d'aventure. Avec le temps, leurs briques rouges fades, leur toit triangulaire bancal et leur jardin taillé à l'anglaise sont devenus un paysage rassurant. Il ne se verrait pas vivre ailleurs.
Une dernière gorgée, une capsule d'expresso de plus, et il faut qu'il se mette au travail. Il rechigne à cette idée. Il n'est pas du matin. Cependant, il faut qu'il en profite, c'est le seul moment de la journée où il est tranquille ; ses voisins se remettent tout juste de leur gueule de bois, et Matt roupille encore dans la chambre d'à côté.
Pour se motiver, Alex pense à l'argent qu'il pourrait empocher. Pour le payer autant, la maison de disque de Kane, Columbia Records, s'attend à ce que le chanteur vende beaucoup. Alex sait qu'il est chanceux. Normalement, les compositeurs ne gagnent qu'avec les royalties, c'est-à-dire quand leurs chansons sont jouées. Mais lui, un salaire non négligeable l'attend dans deux semaines, tant qu'il écrit ces cinq chansons. C'est noté noir sur blanc dans son contrat.
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EUPHÉMISTE
Teen FictionMiles chante, pas mal. Miles fume, beaucoup. Miles sourit, boit, pleure. Miles irradie de rouge ; Miles est malheureux. Et puis il y a Alex. © tatsuki fujimoto pour la couverture