5. RIXE CONTRE UN OURS MAL LÉCHÉ

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IL DEVIENT URGENT qu'Alex troque ses Converses pour des après-ski. Le garçon a découvert à ses dépens que les tennis de ville ne sont pas ce qu'il y a de plus adapté pour faire l'équivalent d'un marathon dans la neige ; quand, avec Alexa, il arrive à l'entrée du Rusty Hook, ses chaussettes sont tout à fait trempées, et l'humidité qui rampe entre ses orteils est loin d'être une sensation agréable par ce froid.

  Posant une main sur le mur pour trouver son équilibre, il retire sa basket gauche et la secoue dans l'espoir d'enlever l'eau qui s'y est infiltrée. Il en profite pour observer le bâtiment. La salle de concert se trouve au rez-de-chaussée d'un immeuble délabré, dont la façade rouge cramoisi est entièrement recouverte de graffiti.

  Appuyé contre elle, Alex sent les pierres vibrer au son d'une chanson électro tapageuse, bien différente de ce que les Rascals produisent. Il conclue que le concert n'a pas encore commencé, et qu'il ne s'agit que de la musique d'ambiance diffusée pour patienter.

  Au-dessus de la tête d'Alexa, qui s'est adossée juste à côté de lui, l'enseigne de la salle clignote d'une couleur pastel. À la lettre K pendouille un crochet, dont la pointe harponne une pancarte sur laquelle a été griffonné à la main le nom du groupe. Même le Boardwalk n'est pas aussi glauque, et pourtant le bar atteint les tréfonds du bas de gamme. Alex se dit que ce n'est pas très glorieux de finir sa carrière ici.

  Il relace sa chaussure et s'avance avec Alexa vers l'entrée béante, gardée par un vigile. Sa mâchoire manque de se décrocher lorsqu'il réalise qui est l'homme posté devant.

  — Grizzly... euh... Nick ? ânonne Alex.

  L'interpellé émet un "hmpf". Sans sa barbe fournie, le garçon n'aurait jamais pu le reconnaître : le bonhomme est vêtu d'un costard au lieu de son manteau en fourrure habituel, et a jeté ses boucles en arrière dans une queue de cheval, dégageant un front aux multiples plis renfrognés. Il ressemble bien plus à un hipster un peu snob qu'à un alcoolique qui enchaîne les shots au bar du coin tous les soirs. Mais, maintenant qu'il y réfléchit, Alex se souvient d'avoir déjà entendu jargouiner l'homme à propos d'un job dans la musique entre deux verres.

  — Votre bracelet, grogne Nick.

  La camarade d'Alex se tourne vers lui avec de grands yeux, interrogative. Il hausse les épaules, il n'était pas au courant de cette histoire. Il fouille dans sa poche et en ressort un billet froissé de vingt livres, qu'il tend au vigile. Celui-ci le refuse en secouant la tête.

  — Vous ne pouvez pas acheter de billets, s'impatiente-t-il. C'est un événement privé, seuls ceux qui sont munis d'un bracelet peuvent entrer.

  — Allez, Nick ! piaule Alex. Tu sais que je suis fan d'eux !

  — Pour sûr que je sais ! Tu nous bassines avec ça sans arrêt, ça me soûle encore plus que mon whisky.

  — Ça veut dire qu'on peut y aller ?

  — Non, fait Nick, inflexible.

  Alex se jure de cracher dans son verre avant de le servir, la prochaine fois qu'il commandera à boire au bar.

  — On n'est que deux, on ne prendra pas beaucoup de place, minaude Alexa, prenant les devants.

  Le vigile se tourne pour la première fois vers la jeune femme. À sa vue, il fronce les sourcils, c'est le geste le plus expressif qu'il a fait jusqu'à maintenant.

  — Je te reconnais, toi ! T'étais au Boardwalk, hier, non ? Et même que tu as parlé avec...

  — Non, non, le coupe Alexa, vous devez vous tromper.

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