EUPHÉMISTE

17. SOIS LE JOHN LENNON DE MON PAUL MCCARTNEY

MILES EST SORTI de l'hôpital quinze jours plus tard.

Il n'était jamais retourné à Birkenhead — Alex l'a appris quelque peu après. Sous l'impulsion de Gruff, le chanteur avait fait halte à Manchester. Le premier concert de la tournée était prévu dans cette ville, alors il était préférable selon le manager de s'y rendre directement plutôt que faire des aller-retour inutiles. Il aurait tout le temps de profiter de chez lui une fois la tournée bouclée.

Seulement, le berceau des Bee Gees devra désormais attendre encore un moment avant de voir ses trottoirs foulés par les bottines du Scouter : Miles ne veut plus entendre parler de concert. Mais pas question non plus pour lui de rentrer dans sa ville natale et de faire face à ses parents, "pas comme ça". Il veut d'abord faire profil bas, se remettre en état.

Alex lui demande s'il n'a pas des amis pour l'héberger en attendant qu'il se sente mieux. Miles rit, répondant qu'en ce moment, il n'a pour compagnons que la solitude et Johnny Cash. Il répète aussi qu'il l'a bien cherché : il s'est montré ignoble, invivable, il ne voulait plus rien avoir à faire avec ces parasites qui prétendaient rester à ses côtés alors qu'ils étaient convaincus qu'il ne s'en sortirait pas. Il s'est renfermé sur lui-même, repoussant ceux qui tentaient de prendre de ses nouvelles de peur qu'ils ne soient pas sincères. Alors tout le monde s'est lassé et tout le monde est parti, parce que c'est ce que tout le monde fait — en laissant derrière eux des fleurs allergènes sur les tables des hôpitaux pour marquer leur absence.

Alex n'a pas d'autre choix que de lui proposer de séjourner chez lui. C'était une bataille perdue d'avance, de toute façon. Il l'a compris dès qu'il l'a vu dans son lit d'hôpital :  il ne pourrait se débarrasser de lui. Il ne faut qu'une bousculade, une autre escouade pour que Miles revienne au n°1 Yellow Bricks — mais l'a-t-il déjà quitté ?

Après un coup de fil à une Fiona en panique, une résiliation de contrat avec Gruff qui a été très mécontent d'apprendre que Miles ne serait pas la poule aux œufs d'or qu'il avait espérée, le chanteur déchu s'installe à High Green avec la résolution de se couper définitivement de la scène musicale.

Aux protestations d'Alex, il rétorque :

— Cet album, je pensais que c'était ma seule chance d'aller mieux. Il ne fallait pas que je la laisse passer. Je répondais à toutes les interviews, toutes les radios. Je signais tous les CD collector, et je faisais toutes mes séances en studio, même quand je n'avais plus de voix. Tout ce qu'on me demandait de faire, je le faisais. Et c'était trop. Mais je ne pouvais pas me plaindre. Je n'étais rien, et la musique était tout.

The show must go on, pense Alex. Ce motto lui paraissait tellement noble, avant. Mais, à présent, ce ne sont plus que des mots fades, fantasmés. Comment en effet continuer quand les vampires auront sucé tout son sang, jusqu'à ce qu'il chancelle, et qu'il n'y aura plus rien en lui que des os carencés ?

— Ce séjour à l'hôpital, poursuit Miles, ça a été une délivrance. J'ai compris qu'il fallait que j'arrête. Que je crèverais si je n'arrêtais pas.

Une certaine difficulté d'aisance précède leurs premiers échanges, non plus à cause de la déférence qu'Alex accordait au chanteur au début de leur relation, mais par des gestes plus attentifs, hésitants. Gestes qui ont le don d'agacer Miles, qui ne manque pas de le faire remarquer.

— Je n'ai pas envie de mourir, tu sais. Tu peux arrêter de me surveiller en permanence.

Alex a réfuté cette accusation. Mais il s'est senti mieux.

Miles n'arbore en effet pas l'air de quelqu'un qui méprise la vie — un harassement, de la rancœur, peut-être ; il prétend que le ciel est toujours plus beau quand il ne le regarde pas, il casse des verres, parce qu'il est plus facile de briser des objets que d'avouer qu'on est le seul bousillé de l'intérieur. Mais jamais de dégoût.