4. Oh, Jeanne...

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« - Jeanne ? Il faudrait songer à te trouver un époux. »

Stupéfaite, je levai les yeux de mon livre pour les fixer sur mon père, qui était attablé à son secrétaire. Il me fixait, l'air sérieux. Bien trop sérieux. Mon esprit s'embrouilla, mais je ne pensais qu'à une chose : refuser. Je bredouillai, ne sachant que dire :

« - Déjà ? Mais... Je ne peux vous laisser, et...

- Et rien du tout, me coupa-t-il. Nombre de jeunes filles de ton âge sont mariées et déjà grosses. J'ai longtemps repoussé cette idée pour te garder auprès de moi, mais ce n'est plus possible. »

Je laissai tomber mon livre au sol et me levai précipitamment du fauteuil dans lequel j'étais assise pour me jeter aux pieds de mon père. Je serrai ses mains dans les miennes en secouant la tête :

« - Mais je veux rester avec vous ! Pourquoi ne pas encore repousser ce mariage ?

- Parce que tu es déjà bien âgée, et ta dot n'est pas très importante. Plus je tarde, moins il y aura de prétendants.

- Mais cela n'est pas grave ! Il y en aura toujours un qui acceptera de m'épouser !

- Jeanne... »

Il baissa un regard sérieux vers moi, mais dans lequel je pouvais lire une infinie tristesse :

« - Ne te fourvoie pas. Malgré ma neutralité dans ce conflit, peu de personnes apprécient mon comportement. Et tu es ma fille. Donc il n'y aura pas forcément d'époux. »

Je me mordis la lèvre, essayant de ne pas trahir les vraies raisons de mon refus de me marier : je ne voulais pas quitter mon père, alors qu'il n'allait pas bien, et... J'avais peur. Terriblement peur du mariage. Je baissai la tête vers nos mains jointes, et marmonnai :

« - Je me fiche de tout cela. Je veux juste rester auprès de vous le plus longtemps possible. »

Je l'entendis renifler, et il reprit sa main pour essuyer ses yeux, avant de soupirer :

« - Voyons, Jeanne... Sois raisonnable. J'ai reçu une demande d'un de nos lointains cousins, demandant ta main dans des termes très officiels. »

Aussitôt, et pour une raison totalement inconnue, je pensais à Baptiste. Mais je me repris aussitôt, et demandai rapidement, les joues rosiers :

« - Qui est-ce ?

- Je ne sais pas si tu te souviens de lui... Il s'appelle Andrew, et il est le fils de la sœur de la femme du frère de ta mère.

- Non, ce nom ne me dit rien. »

Il eut un regard affectueux pour moi, et embrassa mon front. Puis il haussa les épaules :

« - Je ne lui ai pas répondu, j'ai préféré te faire lire sa lettre avant. Et te laisser le temps d'y réfléchir. »

Je savais déjà que ma réponse allait être négative. Mais je pris tout de même la lettre que me tendait mon père, et après l'avoir embrassé sur la joue, je me relevai et sortis de la pièce. Sur le chemin pour retourner à ma chambre, je dépliai le feuillet, et m'arrêtai au milieu du couloir pour le lire.

Cher oncle Gustave,

Cela fait longtemps que nous n'avons pas pris de nouvelles l'un de l'autre, mais je vous écris pour une raison qui m'est chère. Comme vous le savez, j'ai atteint ma majorité, et ai émis le besoin de prendre femme. C'est donc tout naturellement que j'ai pensé à vous, et à votre fille, Jeanne. L'on m'a rapporté qu'elle était fort charmante et bien éduquée. Je dois vous avouer que mes souvenirs d'elle me font défaut, mais je me souviens de sa gentillesse et de sa générosité. Je gage qu'elle n'a pas changé.

Raison ou sentiments ? ✅Où les histoires vivent. Découvrez maintenant