9. Le temps a laissié son manteau...

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Blottie dans une méridienne et profitant de l'air doux, je relisais pour la énième fois mon recueil de poèmes de Charles d'Orléans. J'adorais ce français. Une couverture était étendue sur mes genoux, tandis que des coussins soutenaient mon dos. J'étais vraiment bien, perdue dans le monde de la poésie. Soudain, je me redressai, tenant le livre devant mes yeux, et déclamai :

« - Le temps a laissié son manteau

De vent, de froidure et de pluye,

Et s'est vestu de brouderie,

De soleil luyant, cler et beau. »

Cela sonnait admirablement et magnifiquement bien à mes oreilles. Je m'apprêtais à continuer quand des applaudissements lents se firent entendre. Je tournai lentement la tête, et écarquillai les yeux quand le capitaine s'encadra dans mon champ de vision. Le livre me tomba des mains. Je me sentis rougir, horriblement embarrassée et ne pus faire un mouvement quand il se rapprocha de moi. Ses prunelles grises fixées sur moi, il se baissa lentement, s'agenouillant à mes pieds, pour ramasser l'ouvrage. Sans me quitter des yeux, il le feuilleta, et déclama à son tour la suite du poème. Sa belle voix semblait glisser sur moi comme une multitude de caresses, hérissant mes poils :

« - Il n'y a beste, ne oyseau,

Qu'en son jargon ne chant ou crie :

Le temps a laissié son manteau

De vent, de froidure et de pluye. »

Il fit une légère pause, et lorsqu'il reprit en levant ses yeux vers moi, je ne pus m'empêcher de murmurer les vers avec lui, mon regard rivé dans le sien :

« - Rivière, fontaine et ruisseau

Portent, en livrée jolie,

Goutte d'argent, d'orfaverie,

Chascun s'habille de nouveau.

Le temps a laissié son manteau. »

Je sentis ma respiration se faire haletante, emprisonnée dans ses prunelles. Il referma doucement le livre, le déposant à côté de moi. Ses mains glissèrent doucement vers les miennes, qui étaient jointes sur mes cuisses. Lentement, sans me lâcher du regard, il les prit entre les siennes. Lorsqu'il effleura le tissu de ma robe, un étrange frisson secoua ma nuque. Baptiste pressa doucement mes doigts, une lueur tendre au fond des yeux. Je pris une brusque inspiration, profondément troublée, et soudain, il porta mes mains à ses lèvres pour embrasser mes poignets.

Un hoquet étouffé sortir de mes lèvres. J'avais une terrible envie de me jeter contre lui, de goûter ses lèvres sur ma peau, et qu'il m'embrasse. Je voulais m'abandonner dans ses bras.

Sa voix me parvint, caressante et si délicieuse à entendre :

« - Jeanne... Vous me rendez si fou...

- C'est mal, vous le savez... »

Ma voix tremblait, aveu de mon trouble. Il eut un sourire désabusé, et me demanda doucement :

« - Si je n'étais pas catholique... M'auriez-vous repoussé ainsi ? »

Je baissai les yeux, la gorge nouée. Ses mains caressaient doucement les miennes, m'arrachant de légers frissons. Je finis par murmurer :

« - Vous connaissez la réponse...

- Et elle m'emplit de peine. »

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