16. Et faudra penser à vous marier.

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J'épongeai le front de mon père d'une main tremblante, retenant mes larmes du mieux que je pouvais. Il avait perdu connaissance dans les escaliers, et avait fait une chute d'une bonne quinzaine de marches. Il était tombé sur la tête. Et cela juste après être devenu subitement violent et avoir cherché à me frapper.

« - Mamzelle Jeanne, j'vous ai amené à manger. Faut pas vous laisser dépérir. »

C'était la voix de Madge. Je tournai lentement la tête, et l'aperçus, au seuil de la pièce. Je reniflai en lui faisant signe d'entrer. Elle tira une chaise et vint s'asseoir à côté de moi, en silence. Elle déposa sur mes genoux une assiette emplie de nourriture. Je déglutis, et demandai d'une voix mouillée de larmes :

« - Tu penses qu'il va se réveiller ?

- J'en sais rien, pauv' chou. Je l'espère. On prie tous pour vot' père.

- Et s'il ne se réveille jamais ? Ou s'il se réveille, et... Et qu'il ne me reconnait pas, comme avant ? »

Des larmes roulèrent sur mes joues. Je ne pris pas la peine de les essuyer, me contentent de renifler. Madge haussa les épaules :

« - Eh ben j'en sais rien. S'il s'réveille pas, faudra pas l'garder ici. Et faudra penser à vous marier. Vous pouvez pas vivre ici, dans c'château, toute seule. »

J'acquiesçai sans conviction. A quoi bon me marier, si ce n'était pas avec Baptiste ? Après la chute de mon père, je m'étais fait une raison. Il n'allait pas venir. Il avait sûrement trouvé une femme, catholique, et bien plus avenante que moi, qui accepterait sans rechigner de lui faire dix enfants pendant qu'il combattait les protestants comme moi. S'il avait continué à m'écrire, j'aurais gardé espoir. Mais là, sans nouvelles depuis presque six mois... J'étais stupide d'espérer. Je murmurai :

« - Si seulement il n'avait pas croisé ma route...

- Je sais, pauv' mamzelle. Ou s'il avait pas été aussi charmant... »

Malgré moi, j'étouffai un rire. Baptiste était bien plus que charmant ! Il était... Extrêmement beau, cultivé, drôle, doux, troublant et... Il était parfait à mes yeux. Je sentis mon cœur se serrer. Oui, il était parfait. Et je l'avais laissé partir, me contentant de ses belles promesses. Mais si je l'avais épousé... Pourquoi ne serait-il pas parti ? Pourquoi ne m'aurait-il pas bafouée ? Je n'aurais peut-être pas été heureuse à ses côtés, puisqu'il semblait faire de nombreuses promesses, qu'il ne tenait apparemment pas.

De nouvelles larmes roulèrent sur mes joues, et Madge rouspéta :

« - Ah non, faut pas vous laisser aller, mamzelle Jeanne ! Il était charmant, mais y vous a abandonnée, alors moi j'appellerai pas ça un homme d'honneur ! J'espère qu'il est bien malheureux, c't homme ! »

Sa loyauté réussit à me faire sourire. Je soufflai :

« - Que ferais-je sans toi, Madge ?

- Ben vous s'rez occupée à pleurer pou' rien. Alors qu'y faut vous secouer. J'aime pas vous voir aussi triste. »

J'essuyai mes larmes, le regard fixé sur le visage serein de mon père. Il semblait dormir, paisiblement. Je demandai doucement en caressant son front ridé :

« - Et si aucun homme ne souhaite m'épouser ?

- Alors ils sont tous bêtes. »

Je souris une nouvelle fois. Elle reprit :

« - Z'êtes une jeune femme charmante, et s'ils aiment pas les rousses, ben qu'ils aillent au diable ! »

Raison ou sentiments ? ✅Où les histoires vivent. Découvrez maintenant