10. Oh, pardonnez-moi de me présenter ainsi vêtu devant vous.

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« - Je sors, Madge !

- Eh bien mamzelle Jeanne, ramenez des baies j'vous prie. »

Cela allait au moins me donner un but. J'acquiesçai en prenant un panier, et demandai d'un ton qui se voulait détaché :

« - Sais-tu où est le capitaine ? »

Elle se retourna vers moi, abandonnant un instant son ragoût pour me fixer, le regard intelligent :

« - Et pourquoi donc ?

- Pour... M'assurer de ne pas croiser ce catholique. »

Elle ne semblait pas convaincue, mais haussa les épaules :

« - Sûrement occupé à s'entraîner avec ses soldats. »

Je la remerciai d'un regard, et sortis de la cuisine. Je l'avais évité comme la peste depuis l'épisode du poème. Il me troublait bien trop.

Je sortis de la maison, me dirigeant vers la forêt d'un pas léger. Au moins, j'étais certaine d'être seule, et de pouvoir réfléchir. Je chantonnai en gaélique en m'avançant plus profondément dans ces bois, dont je connaissais le moindre recoin. J'aperçus des baies, alors m'agenouillai pour les ramasser et les glisser dans mon panier, sans cesser de chantonner. Je revis le capitaine, m'assurant que j'avais une voix charmante. Je sentis mes joues chauffer, et m'arrêtai de chanter pour marmonner :

« - Pourquoi ne puis-je pas l'ignorer ? »

Je me relevai brusquement, attrapant mon panier pour avancer rapidement. Il n'y avait aucun bruit dans la forêt, à part les oiseaux qui gazouillaient. En soupirant, je fredonnai une mélodie, essayant d'éloigner mes pensées de Baptiste, de ce capitaine catholique que je me devais d'oublier, sous peine de me perdre.

Le bruit de la rivière augmentait, signe que je m'en rapprochais. A cette saison printanière, elle devait être encore assez froide. J'aimais m'y baigner en été, lorsque l'eau me rafraîchissait agréablement. Je m'arrêtai encore pour cueillir d'autres baies. C'était sans doute pour parfumer la viande, ou alors le potage. Madge aimait bien semer des baies dans tous ses plats. Cette pensée me fit sourire, tandis que je cueillais encore d'autres petits fruits, agenouillée dans l'herbe. Un coup de vent me fit frissonner, alors je resserrai ma pèlerine autour de moi. Je pris mon panier et me relevai, puis m'avançai un peu plus vers la rivière. Je chantonnai une mélodie que ma mère m'avait apprise, en Irlande. Je sortis des arbres, relevant le visage avec l'intention de me réchauffer au soleil, mais me figeai.

Le capitaine leva lui aussi les yeux vers moi, de l'autre côté de la rivière. Un ravissant sourire étira ses lèvres, me faisant subitement avoir trop chaud :

« - J'aurais dû me douter que cette charmante voix vous appartenait.

- Vous... Vous m'avez entendue.

- En effet. C'était une charmante motivation pour se baigner dans cette eau froide. »

Une réplique s'étrangla dans ma gorge, tandis que je prenais conscience qu'il ne portait qu'une chemise, qui s'arrêtait juste au-dessus de ses genoux. Le tissu collait à sa peau à cause de son bain récent dans la rivière, épousant parfaitement les courbes de ses muscles. Il était admirablement bien bâti...

Je pris une brusque inspiration, sentant une grande faiblesse m'envahir. Je m'appuyai contre un arbre, et aussitôt, il me demanda, l'air inquiet :

« - Allez-vous bien, Jeanne ? »

Sa douce voix associée à mon prénom me remua les entrailles. J'acquiesça vivement, me raclant la gorge :

Raison ou sentiments ? ✅Où les histoires vivent. Découvrez maintenant