« - Jurez-moi d'être prudente, mamzelle ! »
Je me retournai, sur le seuil de la porte. Madge avait les bras croisés, et ne dissimulait pas son inquiétude. Je me passai une main sur le visage, et marmonnai :
« - Oui, je le jure.
- Et mettez bien vot' capuche, qu'on vous r'connaisse pas. On sait jamais c'qui peut s'passer avec ces catholiques...
- Oui, Madge... »
Je rabattis ma capuche, et resserrai ma pèlerine autour de moi. Puis, sans me retourner, je sortis de la demeure, pour me diriger vers les écuries.
Là-bas, je sellai Royal avec des gestes mécaniques, sans entrain. Mon père n'avait toujours pas manifesté de signes de vie, et sa respiration se faisait de plus en plus heurtée. Il s'affaiblissait d'heure en heure, malgré mes efforts pour le faire manger ou boire. Cela faisait trois jours qu'il était tombé, et je craignais qu'il ne survive pas un jour de plus. J'enfourchai ma monture, et le talonnai pour qu'il sorte des écuries. Il connaissait par cœur le chemin de la ville, alors je le laissai s'y diriger. Mon esprit était ailleurs, auprès de mon père.
Parvenue devant la ville, je vérifiai que ma capuche cachait mon visage, et descendis de Royal, qui piaffait déjà d'impatience. Je le pris par la bride pour le guider à travers l'agitation. Tant de monde m'oppressait. Je préférais tellement le calme du château et de ses bois... Ici, des harangueurs de foule hurlaient pour se faire entendre, clamant que les catholiques n'étaient qu'à un pas de la victoire ; ou au contraire que les protestants étaient maîtres du royaume. Et des groupes de personnes se massaient devant eux, les écoutant avec passion. C'était de là qu'était parti ce maudit conflit, qui m'avait fait rencontrer Baptiste, mais qui l'avait éloigné de moi, me plongeant dans le désespoir le plus profond.
Je me détournai, et attachai Royal à un piquet avant de pénétrer dans la boutique de l'apothicaire. Je dégageai mon visage par politesse, et remarquai que c'était un nouvel homme. Celui-ci me salua :
« - Bien le bonjour, mademoiselle. Que désirez-vous ?
- Bonjour. Je souhaiterai des simples, de la sauge, de la menthe poivrée, et des bandages. S'il vous plaît, monsieur. »
Il eut un regard désolé, comprenant que quelqu'un de proche souffrait. Je serrai les dents pour retenir mes larmes, et l'observai ouvrir des grands bocaux de verre pour en sortir les plantes médicinales. Je m'étais attendue à ce qu'il me prenne pour une sorcière, car les femmes qui soignaient étaient bien mal considérées. Mais apparemment, il n'était pas superstitieux. Il me jaugea du regard :
« - N'avez-vous pas de panier ?
- Non, mon cheval m'attend. »
Je remarquai la façon dont son regard glissait sur moi. Il me rappelait celui du capitaine, lorsqu'il me caressait des yeux. Ma gorge se noua douloureusement. Je le détaillai discrètement, remarquant ses yeux bleus, ses cheveux noirs, et son visage doux. Il avait un physique avenant, mais... Il n'était pas à la hauteur. Aucun homme ne pouvait plus l'être dans mon cœur et dans mon esprit.
Il déposa ma commande sur son comptoir :
« - Cela vous coûtera dix pistoles, jolie demoiselle. »
Je me sentis obligée d'étirer un sourire, alors que je ne ressentais rien. Pas de trouble, de gêne, d'embarras, ou même de fierté. Non, rien. Rien à part une envie pressante de partir d'ici. Je sortis la monnaie de la poche de ma pèlerine, et le vis m'observer du coin de l'œil, tandis que je comptais l'argent. Ce regard me mit mal à l'aise. Je déposai sûrement plus qu'il ne le fallait sur le comptoir, et pris mon paquet en marmonnant :
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Raison ou sentiments ? ✅
Historical FictionUn conflit oppose depuis des années les catholiques et les protestants du pays. Les premiers veulent renverser le roi pour mettre en place un régime plus juste, tandis que les autres souhaitent conserver ce souverain. Au milieu de la guerre civile...