Les deux hommes s'assirent, au même moment où la tenancière servait la commande. Le voyageur posa une pièce de bronze sur le comptoir, vite remplacée par quatre autres de cuivre.
- La spécialité, également appelée le trois-cornes d'où le nom du bar, essaya d'expliquer l'étrange bougre, en regardant avec fascination le liquide dans la chope. Il semblait engourdi ou un peu limité.
- Je sais... on m'a vanté bien des fois cette boisson à la cap...
Il s'arrêta en pleine phrase, ce que son interlocuteur remarqua, sans le montrer.
Finalement, le garçon goûta le breuvage. Et refoula un rot qui trahit une expression d'insatisfaction.
- Bon et moi maintenant, demanda l'homme en noir.
En prenant les airs d'un enfant impatienté par une promesse.
- Quoi ?
- Bah, vous m'avez invité à boire, j'attends! En plus vous m'avez agressé donc je mérite bien qu'on me paie ma tournée, rajouta-t-il.
- C'est vrai... , il se tourna vers le comptoir. Madame pourrais-je avoir une chope de bière, sollicita-t-il avec une certaine arrogance.
Les gros yeux de l'inconnu lancèrent un regard déçu.
- Alors, reprit le voyageur, j'aurais quelques questions.
Son interlocuteur, la tête ailleurs ne faisait même pas attention à lui, et lorgnait avec envie le verre à peine touché.
- Oh par la Créatrice, prenez cette chope et écoutez-moi, à bout.
Soudain satisfait, il s'exécuta avec enthousiasme et le vida de moitié cul sec. Mais avec la précaution de cacher son visage, de ses mains. Puis après avoir goulument bu, regarda le jeune homme.
- Vous savez pourquoi on l'appelle la spécialité...
Il laissa un silence, voulu théâtral, qu'il combla presque immédiatement.
-... - Eh bien, c'est parce qu'on sait pas ce qu'il y a dedans. On devine un léger goût d'hydromel, peut-être. C'est un jeu ici de trouver. C'est Marmine qui a inventé cette recette, dit-il en tendant son bras vers la femme qui faisait le service.
Elle avait les cheveux courts, grisonnants, la mine rude et renfrognée. Mais curieusement, et d'autant plus de par son âge ( au moins soixante ans), son visage était dessiné de traits d'enfants. Elle était petite, avec un embonpoint certain, lui donnant une silhouette arrondie, mais équilibrée et uniforme.
- Pourquoi vous me racontez ça, demanda l'homme faussement intrigué.
Nosfero prit un air plus grave et assuré et leva un sourcil inquisiteur.
- Eh bien, j"ai pensé qu'une anecdote sur le lieu dans lequel vous vous trouvez pourrait vous faire réfléchir, si vous comptez faire du grabuge, d'une intonation sérieuse et piquante. Mais qu'on se le dise, si vous êtes prêts à remettre ça je vous calmerais et cette fois pour de bon.
- Certes, répondit l'autre. Finissez votre verre, comprenant la situation. Vous m'avez tout de même volé.
Ni une ni deux, Nosfero laissa couler la moitié restante, dans sa gorge.
- De toute manière, je ne compte pas m'éterniser. Juste assez longtemps pour trouver ceux que je cherche, avoua l'étranger. Je ne poserai pas de problème.
- J'espère bien, dit-il. Qui recherchez-vous ?
Avant d'essayer de récupérer les dernières gouttes du breuvage.
- Eh bien, il se fait appeler Tanas... la brute. Il est normalement accompagné de trois personnes. D'après mes sources, ils étaient ici il y a deux jours. Je suis parti dès que j'ai su... mais cette pluie a ralenti ma charrette.
- Oh intéressant !
L'homme arquant un sourire que le garçon ne put voir. L'information n'était pas tombée dans l'oreille d'un sourd.
Depuis le rapide combat, deux personnes dont l'une armée de deux sabres, observaient l'étranger avec méfiance. Le deuxième très concentré sur la discussion, arrivait malgré le bruit à en discerner les grandes lignes. Il tenait fermement une dague au niveau de sa ceinture, prêt à attaquer. Le sabreur attendait le signal de son acolyte pour agir.
Soudain, l'homme musclé qui captivait les foules, quelques instants plus tôt, poussa deux personnes à mains nues. Ils s'écroulèrent pantois, l'un sur une table, et l'autre sur le sol au bout de la pièce.
- Voilà ce qui en coûte de défier au double bras de fer, Tanas le grand ! hurla-t-il complètement ivre et fier.
L'étranger stupéfait se tourna. Au même moment, les deux individus qui le surveillaient le prirent en tenaille. En un instant, deux sabres entouraient sa tête. Prêt à le décapiter! Une dague dans le dos. Prête à transpercer son cœur! Le silence tomba et une immobilité mortifère s'installa.
La taverne était tenue en haleine devant le spectacle des armes. Tanas, dégingandant, s'approcha en zigzaguant et cognant table, chaise et personne sur la route.
- Calmez-vous mes amis, lança Nosfero
Il se leva, se faisant le garant de l'étranger.
- J'ai capté ses pensées, dit-il en retirant sa dague et la rengaina. J'ai cru qu'il allait agresser Tanas. Je suis désolé Nosfero, j'ai du me tromper.
- Xélius, tes capacités télépathiques mériteraient d'être améliorées, ce jeune homme ne nous veut aucun mal.
Le garçon mort de peur devant la rapidité et l'efficacité du piège dans lequel il était tombé les laissa parler pour lui.
- Ça va mon gars, demanda Nosfero.
En posant une main rassurante sur son épaule.
- J'ai bien cru mourir!
- Désolé on est toujours méfiant avec les étrangers, on a comme qui dirait un contentieux avec des assassins, ça force à la prudence.
- Je... comprends..., rétorqua-t-il avec incertitude.
- Il paraît que vous nous cherchez, dit Xélius dont la mine glaciale au moment de l'assaut était désormais douce et sereine.
- Y'se passe quoi les gars, tonna Tanas en titubant jusqu'à eux et avec maladresse. Et sans retenue, il frappa le comptoir de ses puissants bras, presque aussi gros que les jambes d'un cheval. Il y eut un léger tremblement qui fit vaciller les verres.
- Rien, un visiteur inattendu, répondit le sabreur.
L'étranger essaya de reprendre son calme et de se recentrer sur sa mission, ce qu'il eut du mal à faire.
- Si y'a d'la bagarre je suis chaud moi, relança Tanas le poing en l'air. J'étais justement en train d'expliquer à mes nouveaux amis comment j'ai tué un rhinofaux à main...
- Je crois que pour ce soir, interrompit le sabreur, avec Xelius et Nosfero on va s'occuper de tout ça.
Il entoura les épaules de son camarade, du moins essaya-t-il avec ses bras qui paraissaient bien maigres en comparaison. Puis il le guida vers la table où Tanas revivait ses glorieuses aventures. Il remplit sa chope de bière avant de le laisser aux bons soins de son auditoire, dont la moitié était déjà bien endormie.
Pendant ce temps, Marmine débarrassa une table, isolé sur la droite de la taverne, pour que l'étranger et le groupe puissent parler tranquillement.
VOUS LISEZ
Les Chroniques de Tamaran Tome 1: La Route du Nord
FantasyIl est dit qu'un voyageur sur deux ne survit pas sur la Route du Nord. Pourtant nos quatre héros élémantalistes vont devoir traverser cette route dangereuse pour atteindre le lointain pays de Talion. Le Seigneur Seretus les a expressément demandé...