Chapitre 7

135 16 3
                                    


Je ne fais aucune mauvaise rencontre sur le chemin du retour. Je retourne directement à l'infirmerie pour prévenir l'infirmière de la réussite de ma mission. Elle me répond que c'est bien, mais elle a l'air de s'en foutre. Elle me donne de quoi manger, car étant censée être malade je ne peux pas me présenter à la Salle de Restauration, puis je retourne directement dans ma chambre. Il me reste du temps avant le rendez-vous de ce soir. Je pourrai en profiter pour étudier le plan.

Il est l'heure. Je saute de mon lit (toujours cassé !) et m'échappe par le trou que j'ai fait dans le mur de ma chambre, il y a bien des années, et que j'ai emprunté tant de fois depuis. Puis je pars rejoindre mes amis – des vrais, cette fois ! Il fait nuit depuis longtemps et je reste cinq bonnes minutes à contempler les étoiles, rêvant d'un autre monde, d'un autre avenir. Peut-être que là-haut, sur une autre planète, il y a des gens, comme nous. Mais indépendants et libres. De toute façon, je changerai le cours des choses. Je rendrai leur liberté et leurs droits à mes amis et à moi. Et à toute l'humanité, si je le peux. C'est ma mission. Je le sais, maintenant.

Je reviens à la réalité et recommence à courir. Je serre mon trophée, le plan, dans ma main gauche. Mes amis sont déjà tous là. Et ils ne sont pas venus les mains vides ! Ils ont tous les quatre des sacs apparemment remplis de matériel et de nourriture. Ouah ! Je suis épatée.

– Comment avez-vous fait ? leur demandé-je.

– Il suffit d'un peu de charme, me taquine Adrian en faisant un de ses sourires ravageurs.

– Non, plus sérieusement, c'était un jeu d'enfant, reprend Edward en adressant un regard noir mais légèrement amusé à Adrian. L'alarme incendie nous a beaucoup aidés. Mais on te racontera en chemin.

– L'alarme incendie, c'était moi ! déclaré-je fièrement.

– Je m'en doutais ! s'exclame Catherine. Bien joué !

– Merci, fais-je, non sans une certaine fierté.

– Alors... Quand est-ce qu'on se casse d'ici ? demande Solange. J'en ai marre moi ! Et on a tout ce qu'il faut...

Je bombe le torse. Je reprends mon allure de chef et ressaisis le commandement des opérations pour déclarer fièrement :

– Nous partons maintenant. Quelqu'un a-t-il une objection à cela ? Des effets personnels à récupérer ?

Le petit groupe fait non de la tête. En même temps, personne ne veut garder de souvenir du Camp d'Entraînement. De plus, on n'a aucun objet personnel.

– Alors, allons-y, fais-je, pleine d'enthousiasme dans la voix. Le monde s'ouvre à nous !

En disant cela, j'écarte les bras. Un sentiment de liberté intense m'envahit.

Ignorant la fatigue, on marche, tous les cinq, à bonne allure, durant plusieurs heures. Je les guide du mieux que je peux en tâchant de suivre le plan, même si je n'ai pas vraiment d'autres points de repères que mon instinct.

– J'suis crevée ! souffle soudain Solange, interrompant le silence qui régnait.

– Oui, montons les tentes, ici c'est parfait, dis-je en reprenant mon air autoritaire – celui qui indique que c'est moi la chef. Euh... Edward et Solange, vous avez bien trouvé des tentes, n'est-ce pas ? m'inquiété-je, la voix soudain tremblante.

– Oui ! Fin, heu... hésite Edward.

– Mais dis ! Qu'est-ce qui ne va pas, à la fin ? m'énervé-je.

– En fait... Nous n'en avons trouvé qu'une seule, avoue-t-il.

– Ah, c'est tout ! fais-je en riant de soulagement. Mais ce n'est pas un problème !

Mais ça, c'était avant que je voie l'étendue des dégâts. La tente est minuscule, et nous somme cinq. Mais au moins j'ai peut-être une chance d'être collée à Adrian... Je vérifie mon haleine. Tout est en ordre. Maintenant, il faut que j'use subtilement de mon autorité pour dormir à côté de lui.

Une fois la tente deux places montée, on reste tous les cinq devant, immobiles, ne sachant que faire.

– Bon, tenté-je. Alors... Solange et Edward à côté, cela va de soi. Moi à côté de Catherine aussi. Adrian, tu te mets au milieu, à côté de moi et d'Edward.

Je suis très fière de mon petit stratagème. Je fais d'une pierre deux coups : non seulement le beau Adrian dort à côté de moi, mais en plus il n'est ni à côté de Solange ni de Catherine. Quand soudain Adrian prend la parole :

– Non mais tu ne vas pas bien toi ! Je ne comprends pas pourquoi tu veux tout commander ! Il n'y a que de la place pour deux, dans cette tente. Peut-être pour trois, en se serrant. Mais sûrement pas pour cinq !

Une nouvelle fois, je n'ai pas assuré mon rôle de chef, et je deviens rouge écarlate. J'étais trop obsédée par mon plan pour remarquer ce genre de détail.

– Heu, oui... Bien-sûr... tenté-je, en vain.

– Bon, me coupe Edward. Je dormirai à la belle étoile avec Solange. Et puisque tu as si envie de dormir avec Adrian, je pense que Catherine se fera une joie de te le laisser, vu l'état dans lequel tu l'as mis.

La honte suprême. Oh là là mon Dieu. Je veux disparaître sous terre. Maintenant. Comment Edward a-t-il compris ? Pour Adrian ? C'était si visible que ça ?

– Euh... bafouillé-je.

– Pas de prob', me chuchote Catherine à l'oreille. Je te le laisse. Je ne savais pas que tu essayais de le draguer. Tu aurais dû me le dire.

Et elle part sans me laisser le temps de me répondre.

– Allez, bouge ! me lance Adrian. Ne reste pas plantée là les bras ballants comme une imbécile ! Aide-moi un peu à installer les couvertures.

– Toi, ta gueule ! crié-je, sur les nerfs.

Et voilà que je crie sur Adrian. Il ne manquait plus que ça. Mais qu'est-ce que je peux me détester, parfois ! Alors j'obtempère sans un mot.

Une fois sous la couverture, l'atmosphère est tendue, entre Adrian et moi. Dis-donc, le voyage commence bien. Alors je tente un vague :

– Je suis désolée pour tout à l'heure. Je n'ai pas réfléchi.

– C'est rien. Tu sais, moi aussi j'ai été injuste envers toi. Je crois que tout le monde est un peu sur les nerfs en ce moment.

Malgré ma fatigue et mes yeux qui ne demandent qu'à se fermer, je résiste. Les autres doivent déjà dormir. Je sais que des moments comme celui-là ne se représenteront pas dix fois. Alors je ne dis rien et savoure religieusement cet instant, le regardant dans les yeux. C'est lui qui finit par briser le silence :

– Tu sais, je pense que tu ferais un très bon chef.

– Mais... Tu as dit que...

– Chutttt, fait-il en posant un doigt sur ma bouche. Il n'y a que les idiots qui ne changent pas d'avis.

Je ne conteste pas plus et savoure ce moment si unique. Le contact de son doigt sur ma bouche m'a totalement renversée. Il a dû le sentir. Je rougis. Je vais poser ma main sur la sienne. Je vais le faire. Je le peux. Je décale progressivement ma main pour qu'elle arrive à quelques centimètres de ma sienne. Je m'apprête à l'effleurer quand un sentiment de découragement m'envahit. Pourquoi m'aimerait-il moi, alors qu'il a Catherine, la plus belle femme au monde, qui lui tend les bras ? Pourquoi m'aimerait-il moi, le vilain petit canard? Il n'a aucune raison. Et s'il repoussait ma main ? Je ne pourrais pas subir une honte de plus, j'ai eu mon lot aujourd'hui. Alors je m'endors sans rien faire, pleine de honte, de regrets et d'envie.



Matricule 301Où les histoires vivent. Découvrez maintenant