Chapitre 19

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Le lendemain, je suis réveillée aux aurores par Solange. Tout le monde dort encore. Je proteste dans un bougonnement que je veux encore dormir, que les gardes n'ont pas encore sifflé le réveil, mais finis quand même par céder devant son insistance. Elle me dit qu'elle a quelque chose de très important à m'annoncer. Je la suis jusque dans une petite maison en pierre pas trop éboulée. Je vois avec surprise qu'Edward, Catherine et Adrian sont déjà là ; ils semblent m'attendre.

– Salut à tous mes amis ! déclare Adrian. Solange et moi, on a une grande nouvelle à vous annoncer !

Adrian semble plus rayonnant que jamais, je commence à espérer qu'il s'agisse d'une bonne nouvelle.

– Et bien... Solange et moi, on est, comment dire... Amoureux.

J'éclate d'un grand rire sonore. Adrian, amoureux de... Solange ? Impossible. C'est un tour qu'ils m'ont joué. Je regarde mes amis ; ils ont tous les quatre les yeux écarquillés devant ma réaction.

– Bon, assez ri. Je peux retourner dormir ?

– Mais Nat, qu'est-ce que tu racontes ? Nous nous aimons, pour de vrai.

A ces mots, Adrian prend la main de Solange et la regarde longuement dans les yeux. J'ai l'impression qu'ils vont s'embrasser. Alors je ferme les yeux et pars en courant.

Je me réfugie derrière une des innombrables ruines de maison. Je ne pleure même pas. Parce que ce n'est pas possible, tout simplement. Je ne crois pas un seul mot à leur comédie. Adrian, il m'aime moi, depuis le tout début, je le sais. S'ils croient que je vais tomber dans leur piège, ils se fourrent le doigt dans l'œil ! Ou alors, peut-être que c'est un cauchemar. Ça doit être ça. Je vais sûrement me réveiller. Je décide de retourner au dortoir et je me rendors paisiblement.

+ + +

Ce n'est que le lendemain que l'évidence me frappe comme un coup de fouet. Ils ne jouaient pas la comédie. Quand j'en prends conscience, durant ma toilette quotidienne, je me mets d'abord à trembler, puis je vomis, et enfin je pleure. Pour moi qui voulais me persuader que je ne ressentais rien pour Adrian, c'est réussi ! Désormais je ne peux plus nier l'évidence... Je l'aime et cette union avec Solange me tue.

Je mets du temps à me calmer. Une fois que je me suis recomposé un visage à peu près normal, je décide de parler avec Catherine, c'est la seule qui semble vraiment me comprendre ces derniers temps. Je la repère au loin en train de s'habiller, en pleine discussion animée avec Adrian et Solange. J'essaie d'ignorer le fait qu'Adrian caresse le dos de la main de son nouvel et improbable amour.

– Cat ? J'aimerais qu'on parle, toi et moi...

Quand Catherine tourne les yeux vers moi, je sens son regard se fermer soudainement pour redevenir sérieux, son rire se stoppe net. Comme si elle avait senti que je n'allais pas bien.

– J'arrive tout de suite.

Je ressors alors du dortoir où nous étions, en entendant ses pas dans mon dos. Je marche le plus loin possible sans vraiment savoir où je vais.

– Je sais que ça doit être dur pour toi, mais il faut que tu essaies de passer à autre chose.

Je me retourne vivement.

– Hein ??

– Pour Adrian.

– Mais... Comment tu sais ?

– Nat... Je suis ta meilleure amie, je te rappelle. J'ai bien vu que tu avais un faible pour ce mec, et ça s'est confirmé avec ta réaction d'hier. Et ne me fais pas croire le contraire !

– Je... Bon ok, tu as raison. Mais tu n'en parles à personne, d'accord ?

– Motus et bouche cousue !

En disant ça, elle fait mine de coudre sa bouche et part en riant.

+ + +

Ça y est ! Enfin. Après tout ce temps, les anciens soldats chargés de la corvée de bricolage ont désormais fini de rebâtir assez de maisons, à partir des anciennes ruines, pour que nous en ayons tous une pour deux à six personnes ! C'est fantastique, nous allons enfin pouvoir commencer une vraie vie, enfin une vie telle que je me l'étais imaginée lorsque je me suis enfuie du Camp. Le chef m'a remis une liste des différentes maisons et m'a chargée, en tant que sous-chef, de répartir les différents soldats (enfin, ancien soldats). Je nous ai trouvé une maison bien sympathique pour cinq (la maison que j'avais repérée le premier jour était malheureusement trop petite pour nous tous). Si j'ai pris la peine d'aller voir chacun afin de prendre connaissance de leurs préférences en termes de colocataires mais aussi de type d'habitation, j'ai pris un malin plaisir à faire une entorse à cela en ce qui concerne Tina. Je l'ai mise dans une maison isolée du reste du village, la seule à être unipersonnelle.

J'ai réuni mes quatre amis au pied de leur future maison. Nous nous tenons devant, et je songe à la merveilleuse vie qui se profile devant moi. J'imagine déjà les fêtes que nous pourrons faire, nos bonnes parties de rigolade, notre liberté... Après quinze ans passés dans cette prison qu'était le Camp d'Entraînement, ça fait tout drôle.

– La devanture est bien sympa, on est tous d'accord, finit par déclarer Edward. Mais bon sang, on va rester plantés là à la contempler combien de temps ?

Sur ces mots, il s'approche de la porte, ouvre et entre. La maison est modeste, non meublée, mais dégage quelque chose de... charmant. Elle est composée d'une pièce principale carrée et d'une chambre. Pour ce qui est de la toilette et de la restauration, je crois bien qu'il nous faudra encore aller dans les douches communes et au réfectoire. Mais au moins, on possède un vrai « chez nous » !

– Je me charge de vous bricoler des lits, nous propose Adrian.

– Moi et Cat on s'occupe de la décoration ! annoncé-je gaiement en agrippant le bras de Catherine comme une enfant.

– Très bien, dans ce cas les garçons au bricolage et les filles à la déco ! lance joyeusement Edward. C'est parti !

Matricule 301Où les histoires vivent. Découvrez maintenant