Chapitre 15

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Je me réveille ce qui me semble être une éternité plus tard. Des voix me parviennent étouffées, comme si elles provenaient de derrière un rempart de nuages brumeux. Ma tête me lance horriblement et j'ai toujours aussi soif. J'entreprends d'ouvrir les yeux. Cette fois, une lumière éblouissante m'aveugle, à tel point que je les referme presque aussitôt, sans avoir pu distinguer le moindre détail de la pièce dans laquelle je suis. Une des voix se rapproche et je peux entendre ce qu'elle dit, même si j'ai le cerveau trop embrumé pour comprendre un traître mot.

– La p'tite brune se réveille, on dirait. C'est pas trop tôt, ça fait deux bonnes heures que les deux autres gamins ont repris connaissance.

– Ouais, pas trop tôt. On va enfin pouvoir les interroger.

Ce dernier mot retient cependant mon attention. Interroger ? Mais pourquoi ? Oh, ce que j'ai mal au crâne...

– Donnez-lui à boire et à manger, et rendez-vous à midi dans la salle d'interrogatoire. Veuillez à ce qu'aucune tentative de rébellion ne soit possible.

J'entends des pas. Un homme s'approche de moi et me tire violemment les cheveux pour me faire basculer la tête en arrière. J'entrouvre les yeux. Il tient un verre d'eau entre ses doigts crasseux. Je ne veux pas boire, je ne veux pas prendre le risque d'être empoisonnée. Alors je tente de me débattre, mais c'est peine perdue. Toutes mes forces semblent m'avoir abandonnée. En désespoir de cause, je ferme la bouche et garde mes lèvres fermées le plus hermétiquement possible.

– T'as entendu ? Aucune résistance n'est tolérée ! Tant pis pour toi.

J'entends l'homme repartir dans le couloir. Que fait-il ? J'attends cinq bonnes minutes avant d'entendre ses pas se rapprocher. Il s'approche de moi et me tire de nouveau les cheveux, encore plus brutalement cette fois. Puis quelque chose de froid entre en contact avec mes lèvres. J'entrouvre les yeux légèrement. L'homme tient un gros instrument en métal. Puis soudainement, comme poussées pas une force invisible, mes lèvres s'ouvrent. L'instrument me déchire le palais. Je ne mets pas longtemps à comprendre son utilité.

Impossible de résister contre l'étrange instrument. Pas moyen de refermer mes mâchoires.

Bientôt, je sens de l'eau me couler dans la gorge. Moi qui n'avais rêvé que de ça ces derniers jours... Pourtant, c'est extrêmement douloureux. L'eau brûle ma gorge sur son passage, me déchire l'œsophage. Et ce n'est pas la belle eau claire et fraîche que j'avais tant souhaitée, mais une eau sale au goût affreux.

L'homme se dégage enfin de moi. Maintenant que mes yeux se sont habitués à la lumière, je peux le détailler. Il porte des vêtements crasseux et semble ne pas s'être lavé depuis un bon mois. Il est grand et musculeux – pas de chance pour moi. Je remarque deux petites cornes sur le sommet de son crâne. Est-ce un nouvel effet de mode ? Je trouve plutôt que ça lui donne un air de taureau.

–Mange ça, m'ordonne l'homme-taureau.

Il me tend un biscuit super-protéiné, exactement comme ceux que l'on avait au Camp, à la différence près que celui-ci semble périmé depuis plusieurs mois. Je l'avale tout de même ; je ne souhaite pas retenter l'expérience de l'instrument métallique et en plus, j'ai faim.

– Je reviens dans une heure, pour l'interrogatoire. D'ici là, je compte sur toi pour te tenir tranquille.

– Attendez !

C'est sorti tout seul. Je ne pouvais pas le laisser partir sans qu'il m'ait au moins expliqué où j'étais, et pourquoi.

– Je... Heu... Je me demandais de quoi nous étions accusés.

– Ne fais pas l'innocente. Le mois dernier, trois gamins ont pénétré l'enceinte du bâtiment. Je veux dire, vous avez pénétré l'enceinte du bâtiment. Depuis, on vous recherche activement, et on vous a enfin trouvés.

– Et, heu... Où sommes-nous, exactement ?

L'homme-taureau éclate d'un rire sans joie.

– Comme si tu ne le savais pas...

Il repart en verrouillant la porte.

+ + +

Un peu plus tard, j'entends de nouveau le cliquetis de la serrure. Pourtant, je suis pratiquement sûre que cela ne fait pas une heure que j'attends. Je dirais plutôt une demi-heure. Serait-on venu me chercher plus tôt ?

Un homme entre. Ce n'est pas l'homme-taureau ! Curieusement, il me semble familier. Quand soudain un flash me revient.

– Mais... Vous ne seriez pas un des anciens soldats des Camps que j'ai libérés ?

– Si.

– Mais, comment... ?

– Nous aurons tout le temps de te raconter lorsque que tu seras sortie d'ici. Tout ce que je peux te dire pour le moment, c'est qu'un bon millier d'entre nous ont survécu, même si nous avons subi de grosses pertes.

Ces mots m'angoissent. Qu'est-il arrivé à Edward et Solange ? L'homme continue :

– Mais je ne peux pas m'éterniser sur le sujet. Je ne dispose que de très peu de temps. Nous sommes désarmés, nous n'avons aucun moyen de sortir d'ici par la force. Nous sommes ici dans la forteresse du Roi des pays de l'Ouest, et elle est bien trop gardée. Cependant, si je suis ici, c'est que j'ai une ruse. Vois-tu, le Roi admire profondément les pays de l'Est. Ces pays très lointains leur envoient tous les dix ans, environ, un messager qui les couvre systématiquement d'or et de bijoux. Ici, les messagers venant des pays de l'Est sont considérés comme des dieux, et sont attendus avec ferveur. Ils ont à peu près votre âge à tous les trois. Je vous propose donc de vous faire passer pour ces messagers venant des lointains pays de l'Est.

– Mais... Je n'ai aucun message pour ce peuple, et rien à leur offrir ! Et puis, je ne dois pas avoir l'apparence de ces messagers...

– Improvise !

Sur ces mots, il s'éclipse.

Matricule 301Où les histoires vivent. Découvrez maintenant