Chapitre 16

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Le temps qui me séparait de mon départ pour l'interrogatoire m'a semblé filer à une vitesse folle. Les menottes aux poignets, je suis l'homme-taureau, venu me chercher un peu plus tôt, le long de couloirs obscurs. Je ne cherche même pas à tenter quoi que ce soit. Cependant, j'ai un plan. Un plan qui n'a pas beaucoup de chances de fonctionner, mais si par bonheur je venais à réussir, il me permettrait d'obtenir tout ce dont nous avons besoin.

Nous nous arrêtons enfin devant une immense porte à double battants. Dans un grincement qui me fait sursauter, un mécanisme semble s'enclencher et la porte pivote lentement sur ses gonds. C'est à faire froid dans le dos.

Je n'ose regarder ce qui m'attend à l'intérieur. Je sens le garde me pousser violemment dans la pièce. Il me crie d'aller prendre place. Je suis bien obligée d'ouvrir les yeux.

La pièce est immense. Le plafond semble se perdre dans les étoiles. La salle étant circulaire, des sièges de satin rouge m'encerclent de toutes parts. Des centaines de personnes les occupent.

C'est alors que je repère trois chaises en bois, au centre de la pièce. Enfin, je devine que ce sont des chaises, car elles n'y ressemblent en rien. C'est plutôt le croisement entre une chaise et une cage.

Je vais m'asseoir sur l'une d'elles, tout en jetant des regards furtifs autour de moi. Où sont mes amis ? A peine suis-je assise que le garde cadenasse la chaise-cage autour de moi, de sorte à ce que je sois entièrement emprisonnée. Je trouve cette précaution totalement ridicule ; ils sont des centaines et je suis seule – menottée, en plus.

Cat et Adrian ne mettent pas longtemps à arriver. Ma chaise m'empêche de tourner la tête pour les voir, mais je les entends prendre place à côté de moi. Un homme se lève et vient se placer sur une estrade.

– Très bien. Je propose que nous passions à l'interrogatoire puis à la condamnation de ces trois jeunes gens. Hum Hum. Ce mardi 5 mars, à 3 heures 52, ces personnes ici présentes sont entrées par effraction dans le palais du Roi Uznabur, chef suprême des pays de l'Ouest. Elles ont démoli l'un des murs et tué 18 personnes. Des bijoux ont également été volés, le tout estimé à un montant de 25 000 Jar. En attendant votre défense, le Conseil propose une condamnation à mort.

Suite à ces mots, un concert d'acclamations et d'applaudissements explose dans la salle. Certains nous huent. La plupart sont debout. Je reçois sur le torse ce qui semble être de la matière fécale. Heureusement, le chef du Conseil lève la main en signe de silence.

– Ecoutons tout de même ce que les accusés ont à dire pour leur défense.

Je ne laisse pas le temps à mes amis de prendre la parole. Je ne peux pas courir ce risque. Il faut que je tente le plan qui m'a été proposé.

– Ecoutez-moi tous. Vous êtes en train de faire une grossière erreur. En réalité, nous sommes simplement des messagers venus des pays de l'Est.

Je sens les regards inquisiteurs de mes amis sur moi, et ceux pour certains surpris et pour d'autres moqueurs de l'assistance. Une femme se met alors à crier :

– Où sont les présents pour notre Roi ? Quelle est cette tenue ?

– La terreur s'est abattue sur notre pays. L'année dernière, notre civilisation a été pillée et détruite. Nous n'avons plus rien. Nous avons alors pensé que vous pourriez nous aider, oh Roi Uznabur, vous à qui nous avons toujours donné bijoux, or et pierreries. Nous avons erré dans le désert jour et nuit pour arriver jusqu'ici. Des passants nous nourrissaient, logeaient et vêtaient de temps en temps, d'où notre accoutrement inhabituel, mais souvent nous avons failli mourir de faim et de soif. Je vous en conjure, aidez-nous. Nous ne pouvons même plus rentrer chez nous, tous nos pays sont maintenant occupés par l'ennemi.

A peine ai-je fini ma tirade qu'un étrange phénomène se produit. Tous les membres du Conseil se mettent à plat ventre, les bras devant eux, murmurant des incantations. Seul un homme richement vêtu, qui semble être le Roi, se contente d'une simple courbette. Je suis ébahie de voir que mon plan ait si bien marché. L'ancien soldat ne m'a pas menti, ici, on nous considère (enfin, on les considère) bel et bien comme des dieux. Le Roi prend alors la parole. Sa voix tremble et semble teintée de peur, ou de tristesse, je ne saurais dire.

– Mes amis, un drame s'abat sur notre nation. Les pays de l'Est nous ont toujours aidés, c'est à notre tour maintenant de leur venir en aide.

Il se tourne vers nous :

– Combien d'entre vous ont survécu ?

– Seulement mille.

L'information semble claquer comme un coup de fouet sur chacun des membres du Conseil. Un silence de mort s'installe. Puis, d'un coup, il cède la place à la panique. Certains crient, pleurent, hurlent. Je peux entendre quelques mots, comme : « Ils étaient des milliards ! »

– Du calme ! ordonne le Roi. Nous pouvons vous aider à rebâtir une nouvelle civilisation. Un peu au Sud, gît une ville fantôme. Vous allez vous y rendre. Nous vous donnerons des provisions pour le voyage. Vous recevrez un aérovol dans quelques temps, rempli de tout ce dont vous aurez besoin pour rebâtir la ville selon vos coutumes, implanter des cultures, plantations et élevages. Avec un peu de chances, les civilisations des pays de l'Est ne sont pas mortes à tout jamais.

+ + +

– Tu as été extraordinaire.

Ces mots, prononcés par Adrian, me font tellement d'effet que malgré l'obscurité, je crains qu'il ne me voie rougir. Je me retourne alors dans mon sac de couchage, offert tout comme la tente par le Roi, et je lui tourne le dos, dans un vain espoir de cacher mes joues rougies.

Un long silence s'installe entre nous. Je ne cherche même pas à lui répondre ; je suis comme paralysée, totalement incapable de parler. Malgré ma gêne, je ne pourrais jamais assez remercier Catherine d'avoir insisté pour que l'on soit tous les deux dans cette tente. Peut-être me disait-elle la vérité lorsqu'elle m'affirmait ne pas être attirée par Adrian ? La main d'Adrian sur mon épaule me tire de mes pensées.

– Nathalie ?

Je me retourne timidement et croise son regard. Quels beaux yeux ! Je remarque que ce n'est pas ce regard glacial qu'il avait d'habitude, en entraînement, face aux barbares ou dans le désert ; mais un regard rempli de bienveillance.

– Tu m'as sauvé la vie.

Traverser une tempête de sable m'apparaît en cet instant bien plus facile que de soutenir son regard un instant de plus sans défaillir, ou m'enfuir en courant, au choix. J'ai pourtant simulé cette scène tant de fois dans ma tête... Et maintenant qu'Adrian s'intéresse enfin à moi, je ne réagis pas du tout comme je m'étais imaginé le faire. Quelle idiote ! Je me retourne de nouveau et feins de m'endormir.

Matricule 301Où les histoires vivent. Découvrez maintenant