Chapitre 12

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Tout le monde est réuni autour de Nick. Nous sommes environ 5000. Apparemment, il a une annonce importante à faire. Je ne sais pas pourquoi, mais mon intuition féminine me dit que ça sent mauvais.

- Bonjour à tous. Comme vous le savez, cela fait près d'un mois que nous vous avons libérés des Camps. Jusque-là, vous avez mené une vie confortable. Mais aujourd'hui, nous sommes confrontés à un problème majeur : toutes les réserves en nourriture des Camps ont été épuisées. Tous nos efforts pour nous en procurer ou en produire ont été vains. Nous sommes donc au regret de vous annoncer que nous devrons tous remonter vers le Nord afin d'essayer de marchander avec d'autres civilisations, si autres civilisations il y a. Emportez tout. Nous ne savons pas à quoi nous attendre. Certains parlent de grosses créatures, prenez donc des armes. Emmenez vos tentes, vos couvertures, tout. Ou tout du moins le plus que vous pouvez. Tous les enfants de plus de dix ans devront porter des bagages eux aussi. Quelqu'un a-t-il une autre solution, des questions, des remarques ?

- Je suis enceinte ! crie une femme.

- Je suis désolée, mais cela ne change rien. Nous ne pouvons pas vous laisser ici toute seule.

- A quoi cela sert que tout le monde vienne ?...

Je crois reconnaître cette voix. Mais oui, c'est mon père !

- ... Je propose que les femmes enceintes, les enfants de moins de 10 ans et les blessés restent ici en attendant notre retour.

- Nous y avons pensé, bien-sûr. Mais je vous le demande, comment se nourriraient-ils ?

- Pour l'eau, il y a la source pas loin, reprend mon père. Ils trouveront bien des végétaux comestibles. Et puis... J'ai pensé aux sacrifices humains.

Cette dernière phrase déclenche une anarchie totale parmi la foule. Tout le monde crie, hurle, se bouscule...

- SILENCE ! hurle Nick. Ça suffit. Nous sommes peut-être en crise, nous n'en avons pas pour autant oublié nos valeurs. Nous voterons en démocratie. Que ceux qui sont pour le cannibalisme lèvent la main.

Au début, aucune main ne se lève. Puis, petit à petit, une main, puis deux, puis trois. Enfin, c'est presque la moitié des mains qui sont levées. Mais où va le monde ! Avant, nous n'étions peut-être pas libres, mais au moins on ne se mangeait pas entre nous. Et tout cela, c'est ma faute... Si seulement je n'avais pas donné mon consentement au bombardement du Centre de Commandement !

- 3000 mains levées ? C'est la majorité. Que les volontaires se présentent demain à ma tente. Il m'en faudrait une dizaine. Nous vous fournirons un poignard afin qu'ils soient sacrifiés régulièrement. Mais attention, mesdames, ne les sacrifiez pas tous en même temps dès le début, notre voyage risque d'être long, peut-être quelques jours mais peut-être aussi un mois, si ce n'est plus, alors économisez-les. Mais je vous donnerai le reste des directives plus tard. Ah ! Dernière chose. Si trop peu de volontaires se présentent, je serai contraint d'annuler cette démarche. Voilà. Bonne chance à tous.

Je suis littéralement horrifiée. Horrifiée par cette décision absolument affreuse et inhumaine. Mais le pire dans tout ça... C'est que j'ai un pressentiment. Un très mauvais pressentiment. Je crains que... Que mon père ne se porte volontaire pour nourrir les blessés qui resteront. C'est lui qui a proposé ce cannibalisme et c'est l'un des plus vieux... Il n'a aucune raison pour ne pas le faire. D'autant plus qu'il me semble assez téméraire. Oh non !

Je tente de me persuader que mon père ne représente rien pour moi. Mais ce n'est pas vrai. Au fond de moi, je sais qu'il est ma seule famille et qu'il compte plus que tout au monde. Je m'imaginais déjà des moments complices avec lui, des moments qui existaient sûrement dans l'Ancienne Vie, il y a des siècles, avant que nous ne devenions que des soldats...

Même si je suis toujours fâchée contre mes amis, je décide de placer ma fierté de côté et d'aller les voir. J'ai besoin de réconfort.

- Cat, Adrian ? Solange, Edward ? fais-je d'une petite voix timide.

Aucune réponse. Je suis pourtant sûre qu'ils m'ont entendue.

- D'accord, j'ai compris... Je m'excuse.

- Eh bien ce n'est pas trop tôt !

Catherine me fait face, les bras croisés, les sourcils froncés. Puis elle éclate de rire :

- Fais pas cette tête, je rigolais ! Tu me connais, je ne suis pas rancunière.

Ouf, je suis contente qu'elle l'ait pris comme ça.

- Bon sinon, plus sérieusement, demande Edward en se tournant vers Solange, tu viens, toi, ou pas ? Ta cheville va mieux maintenant.

- Bien-sûr que oui ! Pas question qu'elle mange mon père !

Oups, ça m'a échappé.

- QUOI ???

- J'ai de bonnes raisons de penser qu'il va se porter volontaire. Vous voyez l'homme qui a proposé que les femmes et enfants restent ? Eh bien c'était lui.

- Mince... Toi tu avais levé la main ?

Je suis un peu outrée que sa seule compassion soit « mince ». Ils vont quand même manger mon père, c'est horrible ! Mais peut-être que ce sujet lui évoque de mauvais souvenirs (son père à lui est mort) et que par conséquent il préfère ne pas s'attarder.

- Bien-sûr que non. Toi oui ?

- Oui. C'est le seul moyen pour que les femmes enceintes, les blessés et les jeunes enfants restent en vie. Et ils sont bien plus nombreux que les dix hommes qui vont se sacrifier.

Matricule 301Où les histoires vivent. Découvrez maintenant