Chapitre 6

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Bon. J'ai réfléchi toute la nuit à la façon dont j'allais pouvoir obtenir quelques informations (sur la localisation de notre Camp de Naissance notamment) et je crois que j'ai trouvé. En plus des nôtres, j'avais recopié le lieu de naissance de tous les fonctionnaires qui travaillent au Camp ; gardes, infirmiers, femmes de ménage, cuisiniers... Et je crois que ça va me servir.

Il est 4 heures et demie du matin. Je me suis laissé de la marge. Je toque à la porte de l'infirmerie. Le garde en surveillance devant elle m'a laissé passer en me voyant me tordre en deux, gémissante, le visage crispé, les mains sur le ventre. Je ne remercierai jamais assez mes talents de comédienne. Une fois entrée, j'arrête mon cinéma pour me tenir normalement.

– T'as quoi ? grogne l'infirmière sans même daigner me regarder.

– Je sais que tu rêves de savoir d'où tu viens.

Elle ne relève pas mon tutoiement. Elle se lève, et, très lentement, vient placer son visage à quelques centimètres du mien.

– Ça fait longtemps que j'ai appris à ne plus espérer.

– Pourtant, moi je sais.

– Balivernes !

– C'est vrai. Je te donnerai les coordonnées, mais à deux conditions.

– Dis toujours.

Même si elle se donne un air nonchalant et désintéressé, je vois ses yeux pétiller pour la première fois. Alors, même si je n'ai jamais beaucoup aimé cette femme, la voir comme ça me réchauffe le cœur. Je garde cependant mon air autoritaire.

– Primo, tu dis au Matricule 1000 que j'ai une maladie probablement incurable et que je dois rester alitée à l'infirmerie. Bien-sûr, tu me laisseras partir quand j'en ai envie. Deuxio, tu me donnes les clés de son bureau.

– Mais... Pourquoi ?

– Ne pose pas de questions.

– De toutes façons, je n'ai pas la clé du bureau du Matricule 1000. Il ne nous la laisserait jamais.

Mince... voilà qui va compliquer les choses. Mais je ne baisse pas les bras pour autant.

– Allez, va me faire une fausse ordonnance. Trouve-moi un truc bien grave, sinon il voudra que j'aille quand même à l'entraînement. Et une maladie super contagieuse, pour éviter que l'envie de venir me voir ne lui prenne. Après, je te donne tes coordonnées de naissance, promis.

Et elle détale immédiatement. Mission réussie. Reste à savoir comment pénétrer le bureau du Matricule 1000.

Elle revient quelques minutes plus tard, un papier en main.

– Voilà, dit-elle. Maintenant, à toi de remplir ta part du marché.

– Il y a 53 ans, tu es née dans le Camp de Naissance numéro 2, dans la salle 435, un jeudi 3 décembre.

– Et qu'est-ce qui me prouve que tu ne mens pas ?

Je suis mal, tout d'un coup. Je n'ai plus le document officiel, donc aucune preuve. Je crains que l'infirmière ne revienne sur notre accord.

– Mais non, je blague. Je savais bien que j'avais 53 ans. Tu as dit vrai pour ça, tu dois donc dire vrai pour le reste.

Je ne peux retenir un soupir de soulagement.

+ + +

A cette heure-ci, tout le monde doit être à l'entraînement. Et moi, je peux faire ce que je veux, on ne se souciera pas de mon absence ; on me croit malade. J'ai donc toute la journée devant moi pour mener à bien ma mission.

Je sors de l'infirmerie à pas de loups. Je longe les murs et prends mille précautions inutiles ; il n'y a personne, tout le monde s'entraîne dans la Salle d'Entraînement. Néanmoins, il y a toujours des gardes. Je n'en ai pas encore croisé, mais si j'en vois un qui me bloque le passage, cette fois-ci je le tuerai. Tina ne sera pas là pour le faire à ma place. En pensant à elle et à notre amitié passée, je ressens comme un petit pincement au cœur. « Mais regarde ce qu'elle t'a fait » ! Je dois à tout prix l'oublier. Tiens, un garde. Il est de l'autre côté du couloir et me tourne à moitié le dos. C'est jouable de passer devant lui sans avoir à l'éliminer.

J'arrive enfin au bureau du Matricule 1000. Les élèves n'ont normalement pas le droit d'accéder à cette aile du bâtiment, c'est l'infirmière qui a dû me faire un plan pour que je le trouve. Je déglutis péniblement. Ce n'est pas un garde devant la porte de son bureau, mais trois. Et ils sont armés. Dès que j'aurai touché le premier, les deux autres me tireront dessus. Je recule. Une ruse, il me faut une ruse. Mais mon esprit est vide, je ne trouve rien. Je vois déjà la déception sur le visage de mes amis quand je leur annoncerai que je n'ai pas pu mener à bien ma mission.

Mais... Mon regard se pose sur un petit bouton rouge. J'ai peut-être une idée finalement ! Risquée, mais c'est la seule que j'ai.

J'enfile une des cagoules que nous a donné Tina (non sans un certain dégout, maintenant que je la sais traître) et je m'approche à pas de loup du boîtier, gardant constamment un œil sur les trois gardes postés à l'entrée du bureau du Matricule 1000. J'appuie et m'enfuis aussitôt en courant. Je crois qu'un des gardes m'a aperçue. Mais avec ma cagoule, aucun moyen de m'identifier.

J'entends un pas de course derrière moi. Le garde me poursuit ! Je redouble de vitesse. Quand soudain, je rentre dans une foule qui court dans le sens opposé au mien. C'est la pagaille totale. Tous les soldats se sont enfuis de la Salle d'Entraînement en entendant l'alarme incendie. La peur se lit sur leurs visages.

J'enlève ma cagoule et me fond dans la masse. Je ne perds pas pour autant mon plan de vue. Lorsqu'une alarme incendie est déclenchée, ce qui est déjà arrivé une ou deux fois depuis que je suis ici, toutes les portes se déverrouillent et s'ouvrent automatiquement afin de permettre aux soldats de s'enfuir. Je pense que les gardes ont le moyen de les reverrouiller s'ils se rendent compte que c'est une fausse alerte ; c'est pourquoi le temps m'est vraiment compté.

Tous les soldats se ruent à l'extérieur, persuadés qu'un incendie s'est déclenché. Je me laisse porter par la foule et sors du bâtiment moi aussi. Je me mets sur la pointe des pieds et me tords le cou pour tenter d'apercevoir le bureau du Matricule 1000. Je le vois enfin, à quelques mètres de moi. Je m'écarte des autres et m'y dirige rapidement. Les gardes courent dans tous les sens afin de déceler l'origine de l'incendie, ils ne font absolument pas attention à moi. J'approche du bureau. Il semble vraiment grand, vu de l'extérieur.

Je repère rapidement une porte de secours toujours ouverte. Je m'en approche et pénètre dans la pièce.

Le bureau du Matricule 1000 est d'un luxe sans égal. La pièce est ronde, et recouverte de tapis orientaux. Je n'avais jamais vu ça ; au Camp, tous les murs sont blancs. Au centre trône un bureau gigantesque, disproportionné par rapport à la taille de la pièce. En comparaison avec cette dernière, il est totalement en désordre. Des papiers sont dispersés partout, certains même jonchent le sol. Oh là là ! Trouver les documents relatifs à la maternité dans tout ce bazar ne sera pas chose aisée... Alors je ne perds pas une seule seconde de plus et commence mes recherches. Je retourne les papiers en tous sens, sans me soucier de les replacer au bon endroit. Je ne peux pas me permettre de perdre du temps ; on ne sait jamais, un garde ou une femme de ménage pourrait me surprendre. Je trouve enfin une liasse de documents correspondant aux naissances. Je pousse un soupir de soulagement : je ne m'attendais pas à trouver aussi facilement. J'ouvre le document et trouve le chapitre relatif au Camp de Naissance numéro 4. C'est une vraie mine d'or. Tout est détaillé ! Mais ce qui m'intéresse le plus, c'est le plan. On y voit l'itinéraire pour se rendre à la maternité dans laquelle nous sommes nés. Je déchire la page et détale en courant.

Matricule 301Où les histoires vivent. Découvrez maintenant