Le lendemain, Adrian ne laisse rien paraître de ce qui a pu se passer la veille entre nous. Il me parle amicalement comme d'habitude, mais sans cette chaleur dans la voix qu'il avait hier soir. Regrette-t-il déjà ? Ou peut-être ne veut-il pas que je m'imagine des choses ? Ou alors, simplement, il ne veut pas que les autres se doutent de quoi que ce soit...
Mais de quoi pourraient-ils se douter ? Il ne s'est rien passé, absolument rien. Je dois me rentrer ça dans la crâne. J'ai sauvé la vie d'Adrian, il me remercie, rien de plus normal. Je me monte la tête pour un rien... Surtout que ce n'est pas vraiment le moment. La vie de 1000 hommes dépend de moi, après tout !
Je me secoue la tête comme pour chasser toutes ces pensées parasites.
– Bon ! Je propose que l'on se remette en route. Si nous traînons, nous ne pourrons jamais espérer retrouver nos amis et tous les anciens soldats avant ce soir !
C'est après seulement cinq heures de marche que nous arrivons enfin dans ce fameux village du Nord, guidés par la carte du roi, où les anciens soldats rescapés ont finalement réussi à se réfugier. Une unique pensée m'obsède : retrouver Edward et Solange. Un seul regard à mes amis m'apprend qu'il en est de même pour eux ; ils jettent tous deux des regards frénétiques aux alentours, espérant les apercevoir mais redoutant tout de même le pire.
Le petit village ressemble en tous points à celui des barbares dans lequel ils nous avaient retenus prisonniers : même palissade en bois, mêmes petites maisonnettes. Cependant, personne ne vient nous agresser lorsque nous entrons, au contraire ; nous sommes accueillis par des exclamations de joie qui retentissent de toutes parts, criées par nos camarades rescapés.
– Ils ont réussi !
– Nos sauveurs !
Je ne comprends d'abord pas très bien. Ils ont survécu et sont maintenant nourris et logés dans ce village, alors en quoi les avons-nous sauvés ?
Je repère soudain, dans la foule, l'homme qui était venu me voir au palais et qui m'avait suggéré la ruse du messager. J'oublie alors momentanément Edward et Solange et me faufile jusqu'à lui, jouant des coudes.
– Psss ! Viens !
Me dégager de la cohue hystérique n'est pas une mince affaire. Une fois seuls, je n'ai pas le temps de poser une seule question que mon sauveur m'explique :
– Les habitants de ce village ont accueilli et nourri les rescapés de la tempête. Mais nos hôtes ne sont pas aussi hospitaliers qu'on nous l'a laissé entendre ; ils daignent nous héberger une semaine, mais pas un jour de plus. Voilà pourquoi votre retour était tant attendu. D'ailleurs, j'espère que vous avez trouvé une solution. Sinon, nous sommes bel et bien perdus.
– Je comprends mieux... Oui, nous avons une solution ! Nous avons des provisions. Nous allons rejoindre un village fantôme, pas loin d'ici, et nous recevrons bientôt de quoi rebâtir les habitations comme bon nous semble, créer des cultures et des élevages afin de devenir auto-suffisants, par aérovol. Il y a même une source d'eau pas loin !
– Wouah ! Mais comment as-tu réalisé ce prodige ?
– Grâce à ton idée du messager, entre autres. Mais je vous raconterai plus tard, j'ai d'autres priorités dans l'immédiat. Edward et Solange ont survécu ?
– Les deux gamins qui ont fait exploser le Centre de Commandement avec vous ? Ne t'inquiète pas, ils vont bien. Au fait... Notre ancien chef, Nick, est mort. J'ai donc été élu pour le remplacer. Appelle-moi simplement « Chef ».
– J'aurais une dernière chose à vous demander... Chef. En fait, je ne me sens pas très bien, j'ai vraiment besoin de calme et de repos. Vous croyez pouvoir raconter aux autres ce que je vous ai dit et leur demander de me laisser tranquille un moment ?
Une heure plus tard, je suis allongée sur une paillasse. J'écoute d'une oreille distraite le discours du chef à son nouveau peuple. Ce dernier mot me fait sourire. Oui, maintenant, on peut bel et bien se considérer comme un peuple à part entière. Enfin, on le pourra très bientôt, en tous cas.
Ça faisait longtemps que je ne m'étais pas sentie aussi bien. Mes amis sont vivants, et on va tous vivre.
+ + +
– Nathalie ?
J'ouvre doucement les yeux. J'ai l'impression d'avoir dormi une éternité. Les cheveux de l'inconnue penchée au-dessus de moi m'effleurent le visage. Je mets quelques instants à la reconnaître : il s'agit de...
– Solange !!
Je me jette dans ses bras. Ça fait tellement de bien de la revoir, après tout ce temps ! Je remarque ensuite Edward, resté en retrait, et mon bonheur est alors complet. Il me lance, un sourire timide étirant le coin de sa bouche :
– Alors, à ce qu'il paraît, on va survivre ?
– Ça semble t'étonner !
– Je m'étais tellement fait à l'idée que je devrais mourir bientôt...
– Eh bien figure-toi qu'il est de plus en plus probable qu'un jour un bébé baveux t'appelle pépé !
Je fais mine de le détailler de la tête aux pieds.
– Et d'ailleurs, ça t'irait bien, pépé !
Edward se jette alors sur moi et une bataille de paillasses commence. Adrian et Catherine ne mettent pas longtemps à se joindre à nous. En cet instant, la tempête de sable me paraît loin, si loin...
+ + +
Grâce à la carte du Roi Uznabur, nous parvenons au village fantôme sans trop de soucis, en à peine deux semaines. La traversée du désert est un jeu d'enfant quand on a de l'eau à disposition et à profusion, de quoi se couvrir la tête, se nourrir. Je commence à croire que les esprits (pourquoi les esprits ne pourraient pas exister ?) sont avec nous ; aucune tempête de sable n'est venue gêner notre avancée.
Notre futur village se dresse devant moi. Le Roi ne nous avait pas menti, il existe bel et bien. Je ne sais pourquoi, nous nous sommes tous arrêtés à l'entrée du village, à le contempler, sans pour autant oser entrer. Je regarde les murs de pierre qui protègent le village et m'imagine adulte, avec mon mari, mes enfants, dans ce même village, heureuse. Je n'ai alors plus la patience d'attendre plus longtemps.
– Bon, on y va ?
Un mouvement d'approbation parcourt les anciens soldats. Nous entrons, par un trou laissé par un éboulement. La vue qui s'offre à moi est alors merveilleuse. Un petit sourire naît sur mes lèvres à cette pensée ; c'est en effet tout à fait ironique. Pour n'importe qui d'autre, cette vision aurait été celle de la désolation ; maisons de pierres éboulées, volets pendants, charpentes calcinées, et même certains cadavres pas encore tout à fait décomposés. Ces derniers m'intriguent d'ailleurs, car cela signifie que certains visitent encore le village aujourd'hui... Mais je range ce problème dans un coin de ma tête, songeant à y repenser plus tard.
Notre nouveau chef commence déjà à nous donner des directives. Cependant, je ne l'écoute pas. La scène qui s'offre à moi me bouleverse bien trop pour cela. Quand je regarde ce village abandonné, je vois en fait ma vie future, pleine de possibilités. La petite maison éboulée à ma droite sera ma maison. Il y aura des fleurs devant, je le sais déjà. Quand mon mari rentrera des champs, il posera son râteau contre le mur, et alors je lui rappellerai, comme chaque soir, de le ranger dans la grange. Peu de gens le comprennent, mais la simplicité et le bonheur sont étroitement liés. Et en cet instant, et ce pour la toute première fois, j'entrevois du bonheur dans ce futur qui s'offre à moi.
VOUS LISEZ
Matricule 301
AventureJe m'appelle Matricule 301. J'ai été arrachée à mes parents à ma naissance. Depuis mon plus jeune âge, je vis dans un Camp d'Entraînement dans lequel on nous prépare à la guerre. Une guerre imbécile dont je ne connais ni les tenants ni les aboutissa...