Chapitre 24

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Cat et moi sommes devenues plus complices que jamais. Que la liberté est une chose merveilleuse ! Nous pouvons rire, nous étreindre quand bon nous semble. Alors on ne s'en prive pas ! Je crois que je n'aurais pas tant su apprécier ma liberté si je n'avais pas connu quinze ans de répression. Je ne vais pas jusque dire que ce foutu Camp fut une bonne chose, oh non ! Mais il m'aura au moins appris cela.

En ce moment, nous jouons au singe, notre jeu préféré. Tout est parti d'un soir ou nous nous étions retrouvées autour de notre feu, dans cette plaine près du Camp. Nous devions avoir 6 ans, peut-être 7. Nous nous donnions des gages et le mien avait été de faire le singe. Je les avais tellement faire rire qu'ils m'ont souvent demandé de le refaire par la suite, et c'est pourquoi on a décidé de renommer ce jeu ainsi. Mais les garçons et Solange s'étaient vite lassés de ce jeu qu'ils jugeaient puéril, et nous ne jouions plus que toutes les deux, Cat et moi.

– Ah, ça fait du bien de pouvoir de nouveau jouer au singe sans entendre ces deux rabat-joie nous demander de nous taire ! s'exclame Cat entre deux éclats de rire.

– Ah ah, tellement !

L'hypocrisie est officiellement mon talent caché, parce que je préférerais mille fois que les garçons soient avec nous, quitte à ce qu'ils nous demandent d'arrêter notre jeu « débile » (selon eux). Mais nous nous amusons si bien toutes les deux que je ne veux en aucun cas gâcher ce moment. J'ai également remarqué qu'elle n'a pas mentionné Solange. Faire comme si elle n'avait jamais existé me rend mal à l'aise... Mais encore une fois, je fais comme si je n'avais rien remarqué.

– Vas-y, à toi ! Alors... Ah tiens, j'ai trouvé ! Tu vas devoir...

Je suis interrompue par trois petits coups secs à la porte. Je me tourne vers Cat, elle semble aussi désarçonnée que moi. Rassemblant tout le courage que j'arrive à mobiliser, je vais ouvrir. Deux hommes et une femme se tiennent dans l'encadrement de la porte.

– Bonjour, nous salue la femme d'un ton solennel, Gardiens du village, chargés de votre sécurité.

– Ils se font appeler Gardiens, maintenant ?

– Chut, Cat, c'est pas le moment !

– Pardon ?

Devant mon absence de réponse, elle continue :

– Bon. Nous sommes venus vous annoncer une bien triste nouvelle. La prisonnière qui se faisait appeler Tina s'est évadée ce matin. Nous nous sommes fait un devoir de venir vous en avertir en personne, vous qui avez déjà été victimes de cet individu. Nous allons disposer deux Gardiens devant votre maison. Ne cédez pas à la panique pour autant, si elle a quitté le village, elle n'a quasiment aucune chance de survie.

Je me tourne vers Catherine.

– Ils ne connaissent pas Tina, ça se voit.

+ + +

Cela fait maintenant deux jours que chacun ici est au courant de l'évasion de Tina, et nous n'avons toujours pas eu de nouvelles. Le soleil est déjà haut dans le ciel, et Cat et moi attendons notre ration de nourriture, comme chaque jour, notre petit ticket en main (un système que j'ai moi-même conseillé au chef de mettre en place suite à de nombreuses fraudes). J'essaie de me concentrer sur les délicieuses denrées qui m'attendent (et qui m'étaient inconnues lorsque j'étais au Camp mais que les jardiniers peuvent maintenant cultiver), sans succès. En effet, devant moi se tient un garçon qui m'est familier – celui qui m'avait écrasé le pied alors que je fouillais la terre à quatre pattes.

« Ne te retourne pas ! ». Cela doit faire cinq minutes que je me répète cette phrase en boucle dans ma tête, à l'attention de celui que j'ai déjà rebaptisé « mon bel inconnu ». En ce moment j'ai vue sur sa nuque et c'est déjà assez déstabilisant comme ça. Il ne manquerait plus qu'il me reconnaisse !

– Quelque chose ne va pas, Nat ? me demande Catherine. Pourquoi tu ne dis rien ?

Parce que je ne veux pas qu'il reconnaisse le son de ma voix, voyons (même si la probabilité pour qu'il la reconnaisse est, disons, très faible) ! Pour le lui faire comprendre, je me contente de poser un doigt sur mes lèvres et d'un coup de menton vers le garçon devant nous. Je sens qu'elle ne comprend pas mes signes. Alors je tente en dernier recours : la télépathie ! Je la fixe droit dans les yeux, tentant de lui faire comprendre l'impossible. C'est ma meilleure amie, si ça se trouve ça peut marcher !

– Nat ? Tu vas bien ? Qu'est-ce que tu fais, à la fin ?

Ma dernière chance est de lui faire comprendre qu'elle doit se taire. Alors je fronce les sourcils et place (une nouvelle fois) rageusement un doigt devant ma bouche.

Et c'est précisément ce moment que choisit mon bel inconnu pour se retourner. J'enlève brusquement le doigt de mes lèvres et tente de reprendre contenance – comment se fait-il que je sois toujours ridicule quand il me voit ?

– Hé ! Salut ! me lance-t-il joyeusement.

– Mais... Vous vous connaissez, tous les deux ? demande Cat d'un ton accusateur en se tournant vers moi, l'air de dire : « Tu ne m'as rien dit ?? ».

Je hausse les épaules, ce qui signifie : « Je te raconterai plus tard ». Elle fronce les sourcils, et je comprends : « Tu ne perds rien pour attendre ! » Ah, mais c'est que ça marche, la télépathie, quand ça va dans son sens !

Avec tout ça, j'en ai presque oublié le garçon. Me rendant compte que je n'ai pas répondu à son salut, je bafouille un « hello » ridicule et incompréhensible. Mais pourquoi suis-je si nouille avec lui, enfin ?

– Heu... En fait, reprend-t-il, je voulais te demander... Ça te dirait qu'on mange tous les deux ce midi ? J'ai un endroit à te faire découvrir.

– Non, ça ne la dérange pas du tout ! dit Cat en me poussant dans le dos.

Mais qu'est-ce qui lui prend, enfin ! Bien sûr que ça me dérange ! Je me suis déjà assez ridiculisée devant lui, j'ai trop honte pour passer tout un déjeuner en sa compagnie !

– Ah, génial ! Allez, suis-moi, me dit-il en appuyant ses propos d'un clin d'œil.

Matricule 301Où les histoires vivent. Découvrez maintenant