Le printemps commence presque à repointer le bout de son nez lorsque j'entends quelques coups timides à la porte de ma petite maison isolée. Car oui, il a bien fallu que je quitte la maison de Matt et Flamme, que ma présence chez eux dérangeait de plus en plus bien qu'ils n'osaient pas me l'avouer. Et la seule maison disponible était l'ancienne bicoque de Tina, qui est partie s'installer avec mes anciens amis. Elle a vraiment réussi à tout me prendre, et même à me refiler sa petite maison dans laquelle les jours s'étirent indéfiniment. Il est dur de se rendre compte à quel point, mais les jours semblent tellement plus longs quand on est seule. Les parties de rigolade avec mes amis me manquent terriblement.
Le soleil n'est même pas levé, je me demande qui peut bien me rendre visite à cette heure-là, mais ça ne présage rien de bon. Moi je suis déjà debout, comme souvent, réveillée par un cauchemar, mais à cette heure-ci le village dort. J'hésite à ne pas ouvrir et à me cacher, j'ai peur que ce soit Tina, ou pire : qu'on vienne m'arrêter. Mais après tout, je passe mes journées à broyer du noir, enfermée dans ma peur et mon regret, et mes nuits sont peuplées de cauchemars, que peut-il m'arriver de pire ? Je me demande d'ailleurs comment je parviens à tenir le coup. Acceptant la fatalité, je m'approche de la porte et ouvre.
Dans la faible clarté du soleil levant, c'est la silhouette de Catherine qui se détache devant moi. Je reste immobile de stupeur. Que me veut-elle ?
– Salut, me dit-elle dans un souffle. Je peux entrer ?
Je m'écarte pour la laisser passer. Je ne sais pas pourquoi, mais je me sens rassurée. Peut-être est-ce grâce au petit sourire qu'elle m'a adressé ?
A peine est-elle entrée qu'elle fond en larmes. Je suis un instant décontenancée. N'est-ce pas le monde à l'envers ? C'est moi qui ai été accusée à tort, moi que l'on a expulsée de chez moi, séparée de mes amis. C'est moi qui devrais pleurer ! Mon bon sens reprenant le dessus, je prends Catherine dans mes bras pour la consoler.
– Cat ? Que se passe-t-il ?
– C'est Tina.
Elle s'interrompt, prise d'une nouvelle crise de sanglots, avant de consentir à m'expliquer.
– Depuis qu'elle est chez nous, nous ne faisons que nous disputer, Adrian, Edward et moi. Elle, elle se présentait comme la parfaite amie, et j'ai mis énormément de temps à me rendre compte qu'en fait elle nous montait les uns contre les autres. Quand j'ai commencé à le comprendre, j'ai voulu en faire part aux deux autres garçons, qui ne m'ont pas crue. « Tina est géniale, arrête un peu, remets-toi plutôt en question ! », m'ont-ils dit. J'ai alors voulu te rejoindre, mais c'est là qu'elle a commencé à devenir folle. Elle m'a enfermée dans ma chambre, avec la défense absolue d'en sortir en dehors des heures de corvée. Puis, voyant que je cherchais durant ces heures de liberté un moyen de rentrer en contact avec toi, elle a même refusé de me laisser sortir. Elle a dit aux garçons que j'étais malade et que c'était contagieux, que je devais rester dans ma chambre et ne voir personne, et ces crétins l'ont crue. En plus, je suis presque sûre qu'elle couchait avec eux, alors qu'Edward est censé être mon copain. Elle a vraiment réussi à détruire nos vies, cette garce !
En prononçant cette dernière phrase, elle lève un point rageur. Alors que je devrais être peinée pour mon amie, je suis en réalité extrêmement soulagée. Elle a enfin compris qui était Tina !
– Mais alors, comment as-tu fait pour venir jusqu'ici ?
– Tu ne me croiras jamais, dit-elle dans un rire toujours baigné de larmes, mais j'ai creusé un trou sous le mur de ma chambre ! Comme on le faisait au bon vieux temps dans les Camps ! Enfin, « bon vieux temps », c'est une façon de parler, hein. Bref, cela m'a pris un temps fou, je faisais avec ce que j'avais sous la main, mais Tina qui avait pris l'habitude de me nourrir par une trappe qu'elle a elle-même construite dans ma porte n'a rien remarqué ! Enfin cela n'est pas le sujet... Je suis avec toi, maintenant.
En disant cela, elle vient se blottir contre moi, qui m'étais assise en tailleur au sol pendant qu'elle me parlait. Cela me semblait faire des mois que ça n'était plus arrivé.
+ + +
– Bon, maintenant, allons dénoncer Tina, dis-je en tirant mon amie par le bras.
Celle-ci se renferme alors instantanément, une réelle peur sur le visage.
– Nat ! Ne fais pas ça, je t'en prie ! Tu ne te rends pas bien compte de ce dont cette fille est capable ! Elle a tué Solange, tout de même, et...
– ... Ah, tu me crois donc, maintenant !
– Là n'est pas le sujet, bien sûr que je te crois !
– Oh, ça ne te paraissait pas si évident il y a quelque temps.
– Nat, ce n'est pas le moment de nous disputer ! Je suis désolée de ne pas t'avoir crue, et tu le sais très bien. Mais ne dis rien aux gardes. Tina se vengerait. Il faut partir d'ici ! Et de toute façon, si je ne témoigne pas, ta parole n'a aucun crédit.
– Tu vas venir avec moi, Cat. Ne fais pas ton enfant. Ce village, c'est le nôtre. C'est de notre combat qu'il est né. Pour lui, nous avons passé des mois en prison, traversé des plaines arides, dormi dans une grotte, traversé un désert brûlant, bombardé le Centre de Commandement, risqué notre vie à plusieurs reprises, pour lui, nous avons failli être condamnés par le Roi Uznabur ! Alors nous n'allons pas le laisser maintenant, alors qu'il vient juste d'être reconstruit et qu'une vraie vie s'ouvre enfin à nous ! Nous ne tiendrions pas longtemps dehors si on partait seules, crois-moi.
Catherine semble réfléchir. Elle a peur, je le vois. Mais je vois aussi que je l'ai convaincue. Sans me retourner, je sors de la maison en direction du bureau central, où certains gardes (aussi appelés les Balances) exercent la justice, tout en sachant pertinemment qu'elle me suit.
+ + +
Ça y est, notre déposition est faite. A mon grand soulagement, les Balances ont l'air de nous avoir prises au sérieux, et nous ont annoncé l'arrestation imminente de Tina. Catherine ne semble toujours pas calmée, elle tremble et s'accroche à mon bras comme une enfant, et cela commence clairement à m'agacer.
A peine une heure plus tard, le cor retentit, annonçant à tous les habitants de se rassembler sur la place publique. Nous nous y rendons, Catherine et moi, non sans une certaine appréhension, craignant ce qui allait nous être annoncé. Tina se serait-elle déjà vengée ?
– Mes chers amis, approchez donc !
Je tente de me frayer un passage parmi la foule dense. Finalement, sur la pointe des pieds, je finis par entrevoir l'estrade en bois, sur laquelle se tient Tina, menottes aux poignets, encadrée de deux gardes. Le chef continue :
– Nous avons enfin trouvé la coupable du meurtre du Matricule 298, se faisant selon nos sources appeler Solange. Ce serait donc le Matricule 220, alias Tina, qui l'aurait assassinée par un tir de revolver en pleine poitrine. Nous souhaitons accorder nos excuses au Matricule 301, aussi appelée Nathalie. Pouvez-vous vous avancer, mademoiselle ?
C'est ma chance, ma seule chance pour me venger de Tina. Je m'avance sur la petite estrade la tête haute, prête à lui cracher au visage. Mais au dernier moment je me ravise, et déclare calmement :
– Vous m'appelez encore une seule fois par mon numéro de matricule et je vous tranche la gorge.
Ma petite phrase déclenche une vague de murmures choqués parmi la foule. Un homme crie « Attrapez-la donc ! Qu'on l'enferme ! ». Je commence à regretter mes paroles, tout d'un coup.
– Bien, bien ! On se calme. Il est vrai que vous appeler par votre numéro de matricule était déplacé et idiot, puisque vous avez justement tout fait pour avoir droit à un vrai nom et à une vraie identité. Je vais dès demain afficher des listes sur les murs des anciens dortoirs afin que chacun puisse se choisir un nouveau nom qui deviendra officiel. Vous serez prié de l'indiquer en face de votre ancien numéro. Quant à vous, Nathalie, je consens à oublier cet affront, afin que vous nous excusiez de cette erreur judiciaire. Bonne journée de repos à tous.
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Matricule 301
AdventureJe m'appelle Matricule 301. J'ai été arrachée à mes parents à ma naissance. Depuis mon plus jeune âge, je vis dans un Camp d'Entraînement dans lequel on nous prépare à la guerre. Une guerre imbécile dont je ne connais ni les tenants ni les aboutissa...