Noir - Byzantin

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Noir-Byzantin

« Les os, la peau, les montagnes, le vert, le ciel. »

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« Prends tout. »

Des fenêtres remplies de ville.
Des fenêtres remplies de ville.
Des fenêtres remplies de ville.
Des fenêtres remplies de vide.
Qui suis-je ?

Silence.

Et des pièces sans fenêtres. Et un monde sans couleur.
Sommes nous faits pour nous connaître nous même ?

JungKook est apathique, une enveloppe désertique, un vide dans un tout. Mais soudain, il le voit. Son âme s'étire. Comme envahi par un ras de marée, sa poitrine se remplit. TaeHyung sort de son travail. JungKook le sait. Il connaît même ses horaires. TaeHyung lui ne sait rien. Les gens s'agitent, regagnent le parking, le métro, un taxi. TaeHyung reste immobile, les yeux dans le vague. Les vaisseaux routiers vont trop vite, ou pas assez. Mais TaeHyung ne ressent pas le besoin de bouger. Il n'a plus de besoin. Il ne sait plus. Il ne sait plus s'il doit déambuler, rentrer, manger, dormir. Toutes ces choses n'ont plus de sens. Il reste là. JungKook traverse, sans même regarder la route. Il ne meurt pas. Il ne meurt jamais. Les voitures klaxonnent. Alors il leur dresse son majeur. Arrogant depuis son ombre, impassible depuis sa rancœur.

TaeHyung ne s'est rendu compte de rien, il est autre part, dans un trou noir. Ses mains tremblent légèrement. JungKook s'en aperçoit. Il se dit qu'il a froid. Il aimerait les réchauffer. Il n'ose pas. Et TaeHyung a toujours froid. A l'intérieur, c'est un désert de glace. Mais il rêve encore. JungKook lui ne rêve plus. Arrivé sur le trottoir d'en face, il se poste à sa droite.

TaeHyung met quelques secondes avant de l'apercevoir. Il n'a pas l'air surpris. Ni effrayé. Ni quoi que ce soit. Comme s'il savait. Comme s'il savait qu'il le retrouverait là. Rendez-vous muet. Ils ne se disent pas bonjour. Il n'y a que ce rictus informe que tracent leurs lèvres, un salut compris, et des mots sans bruit. Puis ils restent ainsi, debout mais instables. Dans un silence que la ville étouffe. TaeHyung continue de fixer la route. JungKook fixe son visage, sans s'approcher de trop près. Et il voit ses prunelles. Deux comètes en chute libre. JungKook lui parle. Il demande :

« -Tout va bien ? »

TaeHyung relève la tête, plonge ses yeux dans les siens. Son corps se tait.
Mais son regard dit tout.
Au secours.

« -Si tu veux ... enfin, si tu en as vraiment envie... on pourrait aller manger. Quelque part. Ailleurs. »

Quelque chose dans les yeux de TaeHyung s'estompe. Quelque chose dans les yeux de TaeHyung s'éveille. Il ne sourit pas, ne pleure pas, ne s'énerve pas. Rien de tout ça. Ses traits sont impassibles. Et pourtant, et JungKook le sait, quelque chose a changé.

« -D'accord. »

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Viens m'observer
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La silhouette du silence s'évade.

Assis face à face autour d'une table unique, l'autoradio parle à leur place. TaeHyung regarde par la grande vitre. Il ne connaît pas le quartier. Il ne connaît pas grand chose. Le tintement des cloches d'argent retentit quand quelqu'un entre, quand quelqu'un sort. Rarement. Ils sont presque seuls. Sur la vitre, le reflet de l'enseigne qui s'impose dans les gouttes d'eau. C'est violet. Non, c'est byzantin. Et dehors, des gens qui passent. TaeHyung les toise, les sent tous coupables, tous couverts de bavure et de secrets. Ils laissent des traînées de mystère dans leur dos. Puis ses yeux se pose sur JungKook.

Lui aussi est un mystère.

JungKook remue ses baguettes dans son plat presque vide. Il toise TaeHyung. Mais TaeHyung ne le toise plus. Il se perd chez les autres, le temps d'une apparition, puis d'une disparition. Soupir. JungKook demande :

« -C'est quoi ton boulot ? »

JungKook a quelque chose dans la voix. Un je ne sais quoi. Et TaeHyung aime ça, sans le savoir. Il attrape son verre et fait basculer l'eau d'un bord à l'autre.

« -J'écris des programmes informatiques. En système binaire. »

JungKook hausse un sourcil, ne dit rien.

« -Et toi, t'as un job ?

-Pas vraiment. »

TaeHyung abandonne son verre, puis se penche en avant. JungKook n'a jamais vu d'œil aussi lucide que celui-là.

« -Tu mens. »

L'ombre d'un sourire effleure le visage de l'un. L'autre, inquisiteur, attend.

« -Tout le monde ment, souffle JungKook.

-Pas moi. Je ne mens pas. Je n'en peux plus. »

TaeHyung se recule. Plus de verres, plus de baguettes. Plus de livres, plus de bombes. Ils ont les mains vides. Et comme nu de toutes les saletés du monde, ils se regardent. Ils se regardent longuement. Il y a un soudain éclair de rêve dans les méandres du désespoir.

Il y croient.
Un peu.

« -J'ai pas de job à proprement parler.»

TaeHyung hoche vaguement la tête, mais ne dit rien. C'est un mauvais jour. Encore plus mauvais que les autres jours. Et on ne parle pas beaucoup pendant les mauvais jours. TaeHyung ne parle pas beaucoup tout court. Il n'a personne à qui parler. Mais pas aujourd'hui. Alors TaeHyung se dit que c'est dommage, que ce jour soit un mauvais jour. Il essaie de penser. Tout s'est embrouillé. Dehors, de l'autre côté de la vitre, les passants marchent, le vide se profile derrière les barreaux métalliques, les cloches d'argent surmontent l'autoradio, parfois, et là haut, on aperçoit la lumière des vaisseaux. Insolente. La ville clignote.

On a redonné sa place au silence.

Minuit - TaeKookOù les histoires vivent. Découvrez maintenant