Noir - Rubis

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Noir-Rubis

La troisième lune est rouge.
Ce soir,
Je te montrerais un rubis
Accroché aux roches
Célestes.

Toujours les mêmes rues. Toujours les mêmes chiffres, les mêmes collègues, les mêmes cafés amers, les mêmes mutismes immenses et ce silence trop dense. Et ces pauvres cons aveugles qui n'ont que le goût de leur salive dans leur bouche. Et lui celle du sang, tout le temps. Et puis toujours les mêmes lunes qui tournent, la même nuit sans fin, et ces questions qui lui égorgent l'existence. Qui suis-je ? Pas d'identité, pour un monde télescopé. TaeHyung étouffe. TaeHyung est fatigué. Fatigué de ne faire que compter. Compter, numéroter. Compter les programmes. Compter les jours. Compter les mots échangés chaque journée, pas plus nombreux que ses dix doigts fins. TaeHyung a envie de courir, de se lever, de quitter son bureau et de ne jamais revenir. TaeHyung a envie d'occuper ses mains constamment vides. Des objets sans matières. Et des fleurs sans couleurs. Des pensées sans sentiments. Et des livres découpés, sans papier, oubliés.

Monde ! Je te hais.

TaeHyung est fatigué. Fatigué des corps affamés sous les ponts, et des murs noirs, des murs vides, anesthésie de la conscience. Et de ses néons à la con et cette pollution qui lui bouffe les poumons. TaeHyung a envie de jurer, a envie de secouer son voisin. Réveille-toi ! J'ai si mal aux mains. Cette lumière m'empoisonne. Et l'oxygène m'asphyxie. Et tout le monde a l'air tellement heureux. Tellement heureux qu'on en retrouve encore, à ramper, sur les versants du vice, à voler, saccager, massacrer. Et à payer son plaisir.

A se tuer pour vivre.

TaeHyung a envie de vivre.
Encore plus qu'il a envie de mourir.
Où es-tu ?

JungKook regarde de loin. JungKook sait. JungKook voit bien.
Et peut être que dans les chapelles vides il prie pour qu'on lui ôte la vue.
TaeHyung s'allonge dans son appartement en béton.
JungKook erre.

Encore une nuit d'insomnie. Au loin le bruit des vaisseaux. Des bruits de pas dans les escaliers immenses. Le fantôme d'un murmure. Des coups de poing dans la mâchoire. Et du sang presque noir. JungKook voit. TaeHyung écoute. Et sous ses paupières closes, il espère son rêve, tout de vert vêtu. Sauf l'eau. Sauf les fleurs. Mais des fleurs sans couleurs...

Soudain, comme une évidence, les paupières s'ouvrent. Et dans leur solitude, égaré sous une nuit stérilisée, ils pensent à l'autre.

Ce soir un homme mourra, à Minuit.
Mais ce n'est pas toi. Mais ce n'est pas moi.
Car on est encore en vie.
Et il doit bien y avoir une raison à ça.

Je suis là.

TaeHyung parcourt la bibliothèque qu'il connaît par cœur, il relit un livre qu'il connaît par cœur, sur un toit qu'il connaît par cœur. Des vaisseaux et leur haut parleur trop puissant passent au dessus des têtes d'immeubles. TaeHyung lit, puis relève le menton. Et il croit voir des paysages dans les nuages que la ville éclaire. Les buildings scintillent. Les vaisseaux planent, s'époumonent. Des gens crient. TaeHyung s'arrête au dernier chapitre, se lève et s'en va. Il ne lui reste plus qu'à reposer le livre sur l'étagère. Il le fait promptement puis s'éloigne. Il est tard, paraît-il. Mais avant que son livre soit avalé par la boîte noire, une main plus pâle encore l'attrape. JungKook marche lentement jusqu'aux baies vitrées en feuilletant de page en page. Il lui va bien. Son épaule s'appuie contre les vitres à double épaisseur.

JungKook voit TaeHyung qui s'éloigne sur la passerelle qui sert de trottoir.
JungKook voit TaeHyung qui lève les yeux vers le ciel.

«-Est-ce que tu cherches les étoiles ?»

TaeHyung ne l'entend pas. Parce que TaeHyung est loin, dans la foule. Et que JungKook est seul, tout en haut. Les yeux de TaeHyung se baissent puis tombent sur les étages de la bibliothèque. JungKook recule d'un pas. Et TaeHyung croit avoir aperçu une ombre derrière les reflets aux mille néons. Une ombre couleur d'un rubis. Comme la deuxième lune. Au dessus d'eux. Au dessus de tout. Mais TaeHyung réfute le songe. Il marche parmi les gens plus ou moins bruyants. Pas tellement finalement. Alors JungKook s'approche à nouveau, trouve son corps dans la rue bondée.

JungKook n'ose pas se le dire. Mais il le trouve si beau, qu'il en est fasciné.

« Reviens. »

Viens me voir.
Viens me parler.
Viens m'observer.
Des inondations dans le salon
Et dans les chambres
Les meubles tanguent,
La maison comme un bateau
Bascule.
Tu flottes là, immobile,
Le regard vide.
Comme un corps, à minuit.

Je suis là.
Reviens.
Je ne sais plus
Si c'est ce monde
Ou si c'est moi
Qui suis si fou.

Minuit - TaeKookOù les histoires vivent. Découvrez maintenant