Noir - Carmin

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Noir-Carmin

Encore cet appartement vide
Que tu remplis
Avec ta voix
Et ton existence

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Assis dans la lueur de la ville, les deux silhouettes sont attentives. Le dos contre les fenêtres de son appartement désert, TaeHyung observe le livre ouvert, suspendu entre ses doigts. JungKook est agenouillé face à lui, les sourcils un peu froncés sous ses mèches trop longues, trop noires. Sur les pages blanches du livre ont été tracés des idéogrammes. Cette fois TaeHyung a trouvé une craie de charbon, mais pas de papier. Alors ils ont utilisé ce qu'ils avaient sous la main. Comme promis, JungKook apprend son langage à TaeHyung. Il lui indique du bout des doigts quel signe veut dire quoi. Il lui explique que peu de gens comprennent les symboles, que ce sont des associés, entre guillemets. C'est un vieux dialecte anachronique, une langue morte que les rôdeurs ressuscitent. JungKook pointe un idéogramme, par dessus le livre. Il lui dit que la plupart du temps, les signes indiquent qui est fourni et qui fournit quoi, quels lieux sont contrôlés, mais aussi des dates et des noms. Parfois. Il les lui traduit page après page, oubliant les lignes et les feuilles jaunies, détachées ou arrachées. TaeHyung l'écoute sans rien dire, puis il l'arrête et désigne un symbole aux traits secs et agressifs.

« -Qu'est-ce qu'il veut dire lui ? »

Sa voix est calme, ni inquiète, ni ennuyée. TaeHyung comprend. Et veut comprendre. JungKook se mord un peu la lèvre, semble hésiter, puis lui dit comme un secret.

« -Un homme mort. »

Un voile sombre tombe sur les yeux de TaeHyung. Il referme le livre.

« -Quelle horreur. »

JungKook ne dit rien, reprend le livre et le pose par terre. Il se lève puis marche un peu dans la pièce, comme égaré au milieu d'une cage. TaeHyung lui se laisse tomber sur le sol. Avec ses doigts, il compte le nombre d'idéogrammes qu'il connaît. Numéroter, mémoriser. Ses doigts se replient puis s'étirent et forment un cadre qui se pose autour de JungKook. JungKook s'arrête, le toise d'un œil préoccupé. Mais la préoccupation s'estompe peu à peu. Et TaeHyung sourit. Il se redresse sur un coude, laisse sa main s'envoler plus haut, refléter la couleur du dehors.

« -Dessine moi un de tes idéogrammes.

-Lequel ? »

TaeHyung fait mine de réfléchir. Au fond, il sait. Il sait toujours.

« -Un que personne ne connaît. »

JungKook baisse la tête, concentré. Il réfléchit. Mais au fond, lui aussi, il sait. Il sait mais ne le sait pas. Encore des évidences. Il se redresse et s'éloigne pour attraper une bombe dans un sac. TaeHyung s'assoit à nouveau et le regarde. Son corps rapide, ses ombres souples, et ses yeux versatiles. JungKook commence à tracer l'idéogramme au milieu du mur, en face des longues et larges vitres. Il le fait avec soin. Il le fait avec patience.

Un idéogramme carmin
Qui veillera sur tes rêves.

Quand il a fini, il se tourne vers TaeHyung qui s'est levé. Et TaeHyung marche vers lui, lentement. Ses yeux se posent vers ce langage qui lui paraît si loin. Il tend les doigts comme pour le toucher. Et il a si froid qu'il en tremble. Et son regard demande. Et JungKook sait. Mais JungKook ne dira rien. Et quand TaeHyung s'apprête à parler il coupe presque brutalement :

« -Il faut que je parte travailler. »

Alors il range la bombe dans son sac, récupère sa casquette et s'abrite dessous. TaeHyung, immobile au centre de la pièce, l'observe se précipiter. Impassible. Mais quand JungKook marche vers l'entrée, il lui lance :

« -Jamais sans danger, hein ? »

JungKook l'entend, JungKook s'arrête, se tourne vers lui une seconde.

Leurs yeux coulent.

Il s'en va.

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Viens m'écouter
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Tard dans la nuit, TaeHyung ne sait plus trop ce que sont les choses. Le front contre le mur, l'index qui glisse sur la bande de peinture, sur ce mot rouge, puissant, déjà sec. Déjà éternel. Déjà imprégné dans sa chair. Dans sa tête. Inoubliable. Ce terme inconnu et indéchiffrable. Cette calligraphie à son image. TaeHyung reste seul, dans le silence, dans l'ignorance. Il ne sait plus rien quand il pense à lui. Son corps plane le long d'un rivage sans naufrage. Et il pense toujours à lui.

« Mon mystère sans nom. »

Minuit - TaeKookOù les histoires vivent. Découvrez maintenant