Noir - Cobalt

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Noir-Cobalt

Une forêt. Et ses arbres, fins, longs, et beaux. Bien plus fiers que leurs tours de fer. Des traces comme des griffures sur leur tronc. Et quelques souffles de vent déposés contre leur front. Des feuilles comme des bannières, tout là haut, près du ciel. Et sur le sol, les vaillantes, succombantes, comme des cadavres oubliés. Et les feuilles mortes sont recouvertes de gelée. C'est blanc. Et c'est tendre.
L'air glacial de l'hiver fait trembler les ramures
Et les enveloppe d'un bleu cobalt trop pur.
Je lève la tête
Une fleur blanche
Se pose entre mes yeux.

Quand il s'éveille, l'image est encore logée dans ses paupières
Mais elle s'estompe, lugubre appartement.

Il remonte sa rue, les mains dans les poches de son manteau. Ce matin il fait froid. Les néons, les projecteurs en bas des buildings, et les lumières qui filtrent de l'autre côté des fenêtres, tout ça semble éclairer le ciel plein de nuages. On dirait du gris, pas du noir. TaeHyung souffle sur ce grand être qui se cache. Et l'air qu'il recrache brille sous les luminaires. Puis il passe le pont au dessus de la voie ferrée. Ses mains sur les barreaux, ses mains sur les panneaux. Mais soudain, il s'arrête. Il se retourne. Et à l'autre bout du pont, dissimulé sous sa casquette, JungKook aussi s'est arrêté. TaeHyung peut presque l'entendre respirer. Il lui sourit. Il lui tend le bras.

« -Pourquoi tu es loin comme ça ? »

JungKook hésite, puis le rejoint rapidement. Ils marchent le long d'une route déserte. Puis ils s'engouffrent dans une bouche de métro, dans la gorge citadine. Les bruits mécaniques sont plus forts que le silence. Et les idées noires des passagers font un vacarme immense. Assis sur le siège dos au sien, JungKook le contemple encore. TaeHyung a replié son bras pour y laisser choir son crâne lourd. Quelqu'un a bousculé quelqu'un d'autre. L'un s'énerve, l'autre peste. Ils sont prêts à bondir. La tension est comme une corde qui les étrangle. Qui les étrangle tous. Mais pas TaeHyung. TaeHyung entrouvre les yeux. Il a l'air si calme. Comme ailleurs. Pas dans cette rame, pas sur ce siège, pas à côté de ces types qui se mettent à hurler. JungKook se penche et s'approche de ses iris isolées. Il s'y blottit. Il n'entend plus, il ne voit plus, ni la saleté ni le bruit.

Le dégoût et la peur n'existent plus.

JungKook pose son front contre le sien. Ainsi leurs yeux s'effondrent. Et cette chaleur leur fait oublier toute la misère du monde. Plus un son. Même l'écho d'une bagarre, les sifflements, les rouages et les gémissements du train ne sont plus rien.

JungKook accompagne TaeHyung jusqu'à son lieu de travail. Et quand l'autre s'apprête à rentrer, il attrape sa main. Il semble le retenir. Et son regard brûle. Et ses sourcils sont des arcs de peine. Alors TaeHyung lui sourit, rassurant. Il détache lentement sa main de la sienne. Puis rentre dans le bâtiment. Le bras de JungKook retombe sèchement. Il reste là quelques instants, puis se retourne et s'éloigne. Il cherche une couleur pour son prochain idéogramme.

Car TaeHyung est parti.
Mais la ville est toujours en vie.

Minuit - TaeKookOù les histoires vivent. Découvrez maintenant